La philosophie aurait-elle manqué quelque chose ?
Se faire vacciner contre la Covid mais garder un œil critique sur la montée en puissance de l’industrie pharmaceutique comme sur la parole médicale, montrer son passe sanitaire en espérant que ce cauchemar s’arrête bientôt, s’inquiéter de l’usage politique de la pandémie par des régimes qui se supposent en mal constant d’autorité : il semblait que c’était déjà un peu philosopher. On pouvait faire plus, ou mieux, semblait-il, en écoutant, en lisant, parfois en diffusant des prises de position philosophiques, en se demandant si elles soutenaient une tendance bien légitime à mettre en paroles et en pensée un présent si proche de la mort, qui a remis en jeu les relations entre savoir, pouvoir, survie et vie singulières et communes – ou si elles ne venaient pas en trop grand nombre ou trop tôt.

Et puis soudain, Benjamin Bratton a surgi pour déclarer que nous nous étions trompés : le texte de ce sociologue designer, « Agamben WTF, ou comment la philosophie a manqué la pandémie », d’abord publié cet été sur le blog de son éditeur britannique, Verso, a été traduit en de multiples langues. AOC vient de nous en offrir la version française : il aurait été en effet bien dommage de le manquer. Il vaut la peine de le lire, de s’y confronter, d’accepter son effet provocateur – et d’en sortir, un peu stupéfait par sa manière enjouée de s’affranchir des règles du raisonnement et de l’histoire et un peu (voire franchement) inquiet du monde postpandémique qu’il nous propose : l’article de Bratton vaut ainsi comme signe d’une manière de pensée qui, prenant appui sur la pandémie, nous prépare au pire tout en le « positivant » ; un signe diffracté en plusieurs et dont nous nous serions bien passé, mais dont il faut tenir compte.
Les philosophes ont la plupart du temps refusé ouvertement la stratégie d’Agamben consistant à gagner en notoriété auprès des pourfendeurs de la « dictature sanitaire ».
En premier lieu, alors que la doctrine française la plus officielle nous invite à n