Art contemporain

Affaire(s) d’un ami perdu – sur l’exposition « Derek Jarman – Dead Souls Whisper (1986-1993) »

Critique

« Dead soul whisper (1986-1993) » propose un parcours à travers les œuvres de la seconde partie de la vie de Derek Jarman, cinéaste et figure de l’art contemporain britannique, militant des droits homosexuels, diagnostiqué comme porteur du VIH en 1986 et mort huit ans plus tard. Mais l’exposition du Crédac ne se limite pas à raconter la mort ; elle dit aussi la colère face aux messages de violence homophobe portés par la presse face à l’épidémie de sida, ou encore la pratique heureuse de la peinture telle qu’elle peut s’apparenter à l’intimité et à l’amour.

«Dead Souls Whisper », un chemin à travers la mort aux côtés de Derek Jarman : c’est ce que m’a en premier lieu évoqué le parcours de l’exposition élaborée par Claire Le Restif au Crédac, dont la douceur avait quelque chose de l’évocation que l’on fait, collectivement, d’un être aimé et disparu.

Sans doute cette tendresse-là appartient-elle tout d’abord à l’œuvre de Jarman : les films présentés au Crédac, les œuvres et les thèmes sont toujours collectifs, adressés, communs au sens d’une communauté intime, d’amitié. Mais Derek Jarman est un artiste peu connu, peu visible, intimiste ou de niche – si l’on met cette visibilité en balance avec le poids et l’importance de son œuvre. Ainsi, donner à voir Jarman en 2021, c’est, tel que je l’ai perçu, le donner à revoir à des générations qui précèdent la mienne mais qui ne l’ont qu’entrevu dans les espaces d’institutions. Et c’est permettre à ma génération et aux suivantes, et à celles qui sont postérieures aux années sida et aux générations d’artistes emportées par la maladie, de le rencontrer – et ainsi, de se rencontrer autour de lui.

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Derek Jarman se présente à l’aune d’une mort double, qui travaille l’exposition. Celle de l’artiste – qui ferait de la présentation de son œuvre un legs, un reste ou un héritage, une somme d’effets personnels – et celle, culturelle, sociale, de l’oubli, du retrait et de l’invisibilité – qui s’apparente aussi à la précarité de la condition des homosexuels à l’époque de Jarman, le silence autour de la maladie, le tabou et le resserrement communautaire pour survivre. Je crois qu’il faut prendre en compte cela, pour entendre la délicatesse nécessaire à une exposition de Jarman aujourd’hui : le rapport exacerbé à la mort, comme thème de son œuvre, comme condition de ses économies de vie et de production, et condition de sa visibilité artistique, est à la fois une entrée dans son œuvre et une impasse si l’on s’en contente.

La délicatesse de l’exposition proposée par Claire Le Restif perm


Rose Vidal

Critique, Artiste