Société

Malaise dans la laïcité

Sociologue et historien

La récente adoption de la loi « confortant le respect des principes de la République » s’est accompagnée d’une multiplicité de mesures visant à promouvoir la laïcité : affiches du ministère de l’Éducation nationale, création d’un prix de la laïcité… La récente visite d’Emmanuel Macron au Pape offre l’occasion de souligner combien que ces initiatives témoignent d’une compréhension excluante de la laïcité, en rupture avec la loi de 1905, qui plaçait en son cœur la défense de la liberté de conscience.

Cette précampagne électorale confirme le glissement à droite et à l’extrême droite des représentations de la laïcité. Il ne s’agit pas seulement du tapage médiatique autour d’Éric Zemmour, des surenchères auxquelles se livrent les candidats à la candidature LR, mais également d’un climat général où les accusations de « wokisme » et d’« islamo-gauchisme » suffisent à stopper toute réflexion un peu libre.

Pour un historien, cette situation est d’autant plus frappante que, on le sait, pendant un bon siècle, la laïcité constituait un des marqueurs essentiels de la gauche. Or celle-ci semble à la dérive, incapable d’opposer une vision construite de la laïcité structurellement divergente du « à droite toute » actuel.

publicité

On peut, d’ailleurs, émettre l’hypothèse qu’il s’agit là d’une des raisons de sa faiblesse. Plusieurs de ses candidats déclarés ratifient, de fait, certains fondamentaux d’une laïcité de droite, quitte à tenter de leur enlever (tâche impossible !) ses aspects discriminatoires. Il faut dire qu’ils se heurtent à des commentateurs politiques, y compris sur les chaines du service public, qui présentent comme neutre, objective, la conception dominante de la laïcité. Ce discours mainstream fonctionne selon un schéma universalisme-laïcité-République qui parait imparable, mais où s’impose, en fait, comme évidence socio-politique, une conception droitière de chacun de ces items. Je voudrais donner ici quelques éléments de réflexion soumettant au débat ces représentations sociales.

Universalisme, sécularisation et figure de l’hérétique

Avec Hegel, et beaucoup d’autres, la philosophie occidentale a forgé un grand récit où modernité et sécularisation (conçue comme une perte d’influence, de pertinence culturelle, une marginalisation de la religion dans le vie sociale) constituaient les des deux faces d’un processus porteur d’un universalisme normatif[1]. Lors du troisième quart du 20e siècle, des sociologues de la connaissance et de la religion, tels Peter Berge


[1] Cf., not., J.-Cl. Monod, La querelle de la sécularisation, Paris, Vrin, 2002 et, dans une perspective néo-hégélienne, M. Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.

[2] P. Berger, La religion dans la conscience moderne. Essai d’analyse culturelle, Paris, le Centurion, 1971, p. 264 (éd. originale : The Sacred Canopy : Elements of a Sociological Theory of Religion, New-York, Doublebay, 1969)

[3] P. Berger (dir.), Le Réenchantement du monde, Paris, Bayard, 2001, p. 15 (éd. originale : The Desecularisation of the World, Grand Rapids (MI), Williams B. Eedmans, 1999).

[4] J.-Cl. Monod, Sécularisation et laïcité, Paris, PUF, 2007, p.7.» Cette conception ne correspond pas à la loi de 1905 (cf. Infra).

[5] Sur le « Rapport Baroin » de 2003, cf. J. Baubérot, La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2012 (réédit. 2014), p. 40-43. Selon Baroin, « à un certain point, la laïcité et les droits de l’homme sont incompatibles » !

[6] Elle a été réfutée à plusieurs reprises, dernièrement par M. A. Meziane, Des empires sous la mer. Histoire écologique et raciale de la sécularisation, Paris, La Découverte, 2021.

[7] F. Wolff, Plaidoyer pour l’universel, Paris, Fayard,2019, p. 51.

[8] Cf., par exemple, Le Matin, 17 juin 1906, où la « féministe » H. Auclerc rendit tout « rouge » les officiels en profitant de la réception à la mairie de Paris de lady Aberdeen, vice reine d’Irlande, pour effectuer cette revendication.

[9] Et bien sûr, la revendication porteuse d’universalité était celle qui réclamait, contre le « suffrage universel », le droit de vote des femmes à toutes les élections, ce qui signifiait une marginalisation sociale encore plus forte.

[10] Le « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses […] » de l’article 10, sans mention de la liberté de culte, constituait une défaite de la gauche de l’Assemblée constituante.

[11] Significativement « le libre exercice des cultes » de l’article 1 devient, dans m

Jean Baubérot

Sociologue et historien, Professeur émérite de l'École Pratique des Hautes Études (EPHE, Sorbonne), directeur honoraire du Groupe Sociétés Religions Laïcités (CNRS-EPHE)

Mots-clés

Laïcité

Notes

[1] Cf., not., J.-Cl. Monod, La querelle de la sécularisation, Paris, Vrin, 2002 et, dans une perspective néo-hégélienne, M. Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.

[2] P. Berger, La religion dans la conscience moderne. Essai d’analyse culturelle, Paris, le Centurion, 1971, p. 264 (éd. originale : The Sacred Canopy : Elements of a Sociological Theory of Religion, New-York, Doublebay, 1969)

[3] P. Berger (dir.), Le Réenchantement du monde, Paris, Bayard, 2001, p. 15 (éd. originale : The Desecularisation of the World, Grand Rapids (MI), Williams B. Eedmans, 1999).

[4] J.-Cl. Monod, Sécularisation et laïcité, Paris, PUF, 2007, p.7.» Cette conception ne correspond pas à la loi de 1905 (cf. Infra).

[5] Sur le « Rapport Baroin » de 2003, cf. J. Baubérot, La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2012 (réédit. 2014), p. 40-43. Selon Baroin, « à un certain point, la laïcité et les droits de l’homme sont incompatibles » !

[6] Elle a été réfutée à plusieurs reprises, dernièrement par M. A. Meziane, Des empires sous la mer. Histoire écologique et raciale de la sécularisation, Paris, La Découverte, 2021.

[7] F. Wolff, Plaidoyer pour l’universel, Paris, Fayard,2019, p. 51.

[8] Cf., par exemple, Le Matin, 17 juin 1906, où la « féministe » H. Auclerc rendit tout « rouge » les officiels en profitant de la réception à la mairie de Paris de lady Aberdeen, vice reine d’Irlande, pour effectuer cette revendication.

[9] Et bien sûr, la revendication porteuse d’universalité était celle qui réclamait, contre le « suffrage universel », le droit de vote des femmes à toutes les élections, ce qui signifiait une marginalisation sociale encore plus forte.

[10] Le « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses […] » de l’article 10, sans mention de la liberté de culte, constituait une défaite de la gauche de l’Assemblée constituante.

[11] Significativement « le libre exercice des cultes » de l’article 1 devient, dans m