Sur un oreiller de pierre
Ce dont je veux parler ici, c’est d’une jeune femme.
À vrai dire, je ne sais absolument rien d’elle. Je ne me souviens même pas de son nom ou de son visage. Et il y a tout à parier qu’elle non plus ne se rappelle ni mon nom ni mon visage.
Quand je l’ai rencontrée, j’étais étudiant en deuxième année à l’université, je n’avais pas encore vingt ans et elle, dans les vingt-cinq je pense. Nous faisions l’un et l’autre un petit job à temps partiel, au même endroit, aux mêmes horaires. Ce qui nous a conduits, un peu par hasard, à passer une nuit ensemble. Nous ne nous sommes plus jamais revus ensuite.
À l’époque de mes dix-neuf ans, j’ignorais à peu près tout de mes sentiments, de leurs fluctuations, et bien entendu j’étais encore plus fermé aux sentiments des autres. Malgré tout, je crois que j’étais capable de saisir ce qu’étaient la joie et la tristesse. Mais les innombrables nuances qui s’échelonnent entre la joie et la tristesse, je ne savais pas alors où les situer et je ne comprenais pas les rapports qu’elles entretenaient entre elles. Je me sentais donc souvent terriblement perturbé et impuissant.
Néanmoins, je voudrais raconter ma rencontre avec cette jeune femme.
Elle composait des tankas[1] et une anthologie de ses poèmes avait été publiée : c’est tout ce que je savais. Enfin, « anthologie », c’est peut-être beaucoup dire, il s’agissait d’un unique opuscule, sommairement relié, une auto-édition très rudimentaire. Malgré tout, quelques-uns de ces poèmes restèrent étrangement gravés en moi. La plupart de ces créations avaient trait à l’amour et à la mort. Comme si l’amour et la mort étaient indissociables et refusaient d’être séparés.
Toi et moi
Nous sommes donc
Si éloignés l’un de l’autre
Devrais-je m’élever
Jusqu’à Jupiter ?
Sur un oreiller de pierre
Je pose mon oreille
Et j’entends
Mon sang
Qui coule qui roule
Sans un son
« Dis, il se peut que je prononce le nom d’un autre homme au moment où je prends mon pied, ça ne t’embête pas ? » m’avait-elle demandé.
Nous