Cinéma

Pedro Costa : « Le seul luxe de mes films, c’est de disposer de la durée »

Journaliste

Vitalina Varela, le nouveau film de Pedro Costa, est issu d’une rencontre : celle qui s’est produite entre le réalisateur, qui cherchait une maison dans le quartier de Cova da Moura, en périphérie de Lisbonne, pour une scène de son film précédent, et Vitalina, une paysanne des montagnes de l’île de Santiago, au Cap-Vert, dont la douleur et la lutte intérieure le frappent et lui donnent peu à peu la certitude que son prochain film sera centré sur elle, sur sa vie, sur la trahison qu’elle a vécue et le deuil qu’elle n’a pas pu faire.

Enfin ! Le 12 janvier sort dans les salles françaises ce qu’il convient d’appeler, n’emploierait-on ce mot qu’une fois par décennie, un chef d’œuvre. Un film d’une puissance à la fois mystérieuse et évidente, dont ceux qui depuis 2019 ont eu la chance de le découvrir en festival (dont celui de Locarno, où il a bien sûr reçu la récompense suprême) gardent un souvenir vibrant.

Accompagnant l’histoire d’une femme venue de son île cap-verdienne à Lisbonne où vient d’être enterré son mari qu’elle n’a pas vu depuis des années, Vitalina Varela est comme un hymne chanté à bouche fermée en l’honneur de la dignité. Un chant de colère et de fierté de celles et ceux que la misère n’abat pas, malgré sa violence toujours recommencée, et sous tant de formes.

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Le film est aussi un accomplissement, qui bien sûr n’exclut aucune forme de reprise ou de continuation à l’avenir, d’une œuvre de cinéma exceptionnelle, celle de Pedro Costa. Depuis Le Sang en 1989, il est l’auteur de neuf longs métrages, dont deux documentaires consacrés à d’autres artistes au travail, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet à la table de montage dans gît votre sourire enfoui ? et Jeanne Balibar en séance d’enregistrement d’un disque pour Ne change rien, composantes à part entière de sa trajectoire tout comme ses huit courts. Éléments particulièrement marquants de cet ensemble, Dans la chambre de Vanda en 2000 et En avant, jeunesse ! en 2006 (ainsi que Cavalo Dinheiro, 2014, toujours absurdement inédit en France) scandent une recherche sensible, où l’invention de manières de filmer naît littéralement de l’attention aux réalités humaines, physiques, matérielles dans les quartiers pauvres de la capitale portugaise, au carrefour d’une histoire coloniale, des effets de la globalisation et de parcours individuels considérés dans toute leur singularité.

La sortie du film, plusieurs fois repoussée à cause du COVID, est un véritable événement, accompagné de la parution de deux très beaux livres. Caderno de


[1] L’acteur cap-verdien Ventura, ancien maçon sur des chantiers, qui porte à l’écran son véritable nom, interprète le personnage principal de En avant, jeunesse ! et de Cavalo Dinheiro. Il apparaît également dans les courts métrages Tarrafal, Notre homme, Sweet Exorcist et joue un rôle important dans Vitalina Varela.

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] L’acteur cap-verdien Ventura, ancien maçon sur des chantiers, qui porte à l’écran son véritable nom, interprète le personnage principal de En avant, jeunesse ! et de Cavalo Dinheiro. Il apparaît également dans les courts métrages Tarrafal, Notre homme, Sweet Exorcist et joue un rôle important dans Vitalina Varela.