Traduire, sur le fil – à propos de Par instants, le sol penche bizarrement de Nicolas Richard
Les carnets de Nicolas Richard sont jubilatoires. Et ce, à plus d’un titre. D’abord parce qu’ils sont vivants et raniment ainsi le cercle des grands traducteurs de l’américain, endeuillé depuis quelques années par la mort accidentelle de Bernard Hœpffner (1946-2017). En guise de testament, celui-ci avait laissé un ouvrage paru de façon posthume, Portrait du traducteur en escroc (Tristram 2018), qui s’offrait comme une longue méditation autobiographique sur la fonction de « translateur » : caméléon pour Hoepffner, trahissant, jouant, glissant, dérapant, mutant, se tenant comme un « équilibriste », « dans le vide […] entre deux langues », éprouvant le « plaisir schizophrène du double-bind, du push-pull, de l’ouroboros, du serpent qui se mord la queue, le plaisir d’imaginer une fraction de seconde qu’ont disparu les barreaux de la prison du langage ».

Nicolas Richard use, quant à lui, d’une autre métaphore : celle du « sol bizarrement penché » qu’il ressent quand il traduit. « Mon équilibre n’était pas véritablement menacé, mais j’avais le sentiment que mon esprit et mon corps ne parvenaient pas à se synchroniser. […] Les sens sont perturbés […], le corps et l’esprit turbinent en une tentative à peine consciente de compenser le déséquilibre ambiant. Par moment, en m’enlisant dans la langue anglaise et en perdant mes repères dans ma langue maternelle, c’est un peu ça que j’éprouve ».
Et de nous proposer un florilège des quelque cent-vingt livres qu’il a traduits en trente ans, mais dans un style qui lui est propre et qu’on peut déjà deviner sur la photographie de lui en couverture, affublé de son éternelle chemise de bucheron, légèrement décontracté, résolument cool. Une encre vraiment sympathique.
Car contrairement à Hœpffner qui s’aventurait souvent sur le terrain rocailleux de la théorie, de la traductologie et de la sophistication baroque ou surannée de sa fonction, qualifiant à l’occasion son métier d’« ouvrouoir du traduitor », Nicolas Richard, à force d