Justice

L’intelligence artificielle, en peine pour traiter les mots de la justice

Magistrat

Autoritaire et approximative dans des environnements aussi ouverts que celui de la justice, déterministe et potentiellement biaisée, « l’IA » semble avoir bien du mal à trouver son chemin pour valoriser le droit et la jurisprudence. L’abandon en janvier 2022 de « DataJust » par le ministère de la Justice en témoigne. Ce constat est-il le produit de la résistance au changement des professions juridiques ou l’inévitable issue d’états de fait minimisés mais têtus ?

Il semble qu’à l’ère de la startup-nation, les ministères, même régaliens, ont vocation à traverser les turbulences que l’on aurait cru réservées aux ingénieurs-entrepreneurs de la Silicon Valley. En deux années d’expérimentation l’algorithme « DataJust », issu de l’initiative du ministère de la Justice avec l’appui d’enthousiastes entrepreneurs d’intérêt général, a suscité à la fois de grands espoirs et des craintes substantielles, a été attaqué de toutes parts dans ses fondements juridiques (et son opportunité) puis sauvé dans une décision du Conseil d’État, avant d’être en passe d’être abandonné face aux moyens nécessaires pour tenter d’en expurger les potentiels biais[1]. Un nouvel épisode qui confortera les habituels contempteurs d’une informatique judiciaire[2] qui a pourtant eu ses heures de gloire au début de l’informatisation des services de l’État dans les années 1980 et 1990[3].

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Rappelons qu’un décret du 27 mars 2020, paru en plein milieu du premier confinement de la pandémie de Covid-19, est venu créer « DataJust » avec l’objectif d’expérimenter les capacités de l’intelligence artificielle (« IA[4] ») pour améliorer la prévisibilité des décisions rendues par les tribunaux en matière de réparation du préjudice corporel. Il faut dire que ce contentieux, qui réserve au juge une très grande marge d’appréciation au titre de l’individualisation de la réparation, fait peser un très fort aléa sur les débiteurs de créance d’indemnisation – qu’il s’agisse de personnes physiques ou d’organismes payeurs privés ou publics.

En 2008, une tentative pour inscrire dans une loi un barème national avait échoué, malgré un livre blanc de l’Association française de l’assurance particulièrement argumenté. Des échelles indemnitaires établies par la Cour de cassation, comme la nomenclature « Dintilhac » ou le référentiel « Mornet », continuent donc encore aujourd’hui de servir de guide informel aux acteurs de l’indemnisation du dommage corporel afin d’assurer une meille


[1] Émile Marzolf, « Le ministère de la Justice renonce à son algorithme DataJust », Acteurs Publics, 14 janvier 2022 – Il semble qu’un nouveau fondement juridique est recherché pour conserver les données collectées dans le cadre de l’expérimentation et en ouvrir l’accès à des chercheurs pour qu’ils mènent leurs propres travaux.

[2] Voir notamment Paule Gonzalès, « Le grand bazar de l’informatique judiciaire », Le Figaro, 4 juin 2020, ou Jean-Baptiste Jacquin, « La crise sanitaire met en lumière la faiblesse de l’institution judiciaire », Le Monde, 7 juin 2020 ou Anne Vidalie, « Serveurs inaccessibles, logiciels archaïques… Les bugs de la machine judiciaire », L’Express, 8 juin 2020 ; Gabriel Thierry, « Le confinement, crash test de la transformation numérique de la justice », Dalloz Actualités, 10 juin 2020. Ou de manière plus objective, voir le rapport de la Cour des comptes, « Améliorer la gestion du service public de la justice », octobre 2021.

[3] Yannick Meneceur, « La Transformation Numérique de la justice : ambitions, réalités et perspectives », Cahiers français, n°416, Août 2020, p.62

[4] L’acronyme d’intelligence artificielle sera présenté entre guillemets par commodité éditoriale. L’ensemble des technologies recouvertes par ce terme ne constituent naturellement pas une personnalité autonome et, afin de se garder de tout anthropomorphisme, il a été choisi de résumer les termes plus appropriés « d’applications d’intelligence artificielle » ou « de systèmes d’intelligence artificielle » par le seul terme « d’IA » entre guillemets.

[5] « La barémisation de la justice : une approche par l’analyse économique du droit », Recherche réalisée avec le soutien de la mission de recherche Droit et justice, févr. 2019

[6] C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation à propos des barèmes de pensions alimentaires (Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-25.301 : JurisData n° 2013-023208).

[7] Voir l’étude publiée par le Conseil National des Barreaux le 13 octobre 2020, établiss

Yannick Meneceur

Magistrat

Notes

[1] Émile Marzolf, « Le ministère de la Justice renonce à son algorithme DataJust », Acteurs Publics, 14 janvier 2022 – Il semble qu’un nouveau fondement juridique est recherché pour conserver les données collectées dans le cadre de l’expérimentation et en ouvrir l’accès à des chercheurs pour qu’ils mènent leurs propres travaux.

[2] Voir notamment Paule Gonzalès, « Le grand bazar de l’informatique judiciaire », Le Figaro, 4 juin 2020, ou Jean-Baptiste Jacquin, « La crise sanitaire met en lumière la faiblesse de l’institution judiciaire », Le Monde, 7 juin 2020 ou Anne Vidalie, « Serveurs inaccessibles, logiciels archaïques… Les bugs de la machine judiciaire », L’Express, 8 juin 2020 ; Gabriel Thierry, « Le confinement, crash test de la transformation numérique de la justice », Dalloz Actualités, 10 juin 2020. Ou de manière plus objective, voir le rapport de la Cour des comptes, « Améliorer la gestion du service public de la justice », octobre 2021.

[3] Yannick Meneceur, « La Transformation Numérique de la justice : ambitions, réalités et perspectives », Cahiers français, n°416, Août 2020, p.62

[4] L’acronyme d’intelligence artificielle sera présenté entre guillemets par commodité éditoriale. L’ensemble des technologies recouvertes par ce terme ne constituent naturellement pas une personnalité autonome et, afin de se garder de tout anthropomorphisme, il a été choisi de résumer les termes plus appropriés « d’applications d’intelligence artificielle » ou « de systèmes d’intelligence artificielle » par le seul terme « d’IA » entre guillemets.

[5] « La barémisation de la justice : une approche par l’analyse économique du droit », Recherche réalisée avec le soutien de la mission de recherche Droit et justice, févr. 2019

[6] C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation à propos des barèmes de pensions alimentaires (Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-25.301 : JurisData n° 2013-023208).

[7] Voir l’étude publiée par le Conseil National des Barreaux le 13 octobre 2020, établiss