À droite, Gramsci et ses avatars
«Citant Gramsci, nous n’avons cessé de dire que dans les sociétés développées, la conquête du pouvoir politique passe par celle du pouvoir culturel […]. Jacquou le Croquant a plus fait pour la venue de la gauche au pouvoir que les déclarations de Pierre Mauroy » peut-on lire dans les actes du XVIe colloque national du G.R.E.C.E.[1], intitulé Pour un « gramscisme de droite ». Dans ce texte d’avril 1982, Alain de Benoist reconnaît l’inspiration, au sein de la Nouvelle Droite, de l’intellectuel italien Antonio Gramsci, une référence promise à un bel avenir dans les rangs de la droite radicale – on la retrouve jusqu’aux discours récents de Marion Maréchal Le Pen.

Affichant son « gramscisme », la droite n’en est pas à sa première allégeance aux figures historiques de la gauche intellectuelle ; d’autres que les membres du G.R.E.C.E. avaient glissé dans la prose de Pasolini leur propre exaltation du primitivisme, ou avaient reconnu en Georges Orwell le champion des luttes contre les dictatures qui ne disent pas leur nom. Qu’en est-il de l’usage, à droite, d’Antonio Gramsci ? La trajectoire de cette référence aide à comprendre par quels biais la droite radicale peut aujourd’hui habiller le débat public de ce camaïeu si pauvre en nuances, cousu de questions sécuritaires, de laïcité intransigeante, d’obsessions « antiwoke ».
Le concept le plus récupéré de la pensée gramscienne, l’hégémonie culturelle, réélabore dans les Cahiers de prison la distinction bien connue dans l’œuvre de Marx entre infrastructure et superstructure : cet axiome fondamental du marxisme pose la primauté de l’infrastructure et fonde le matérialisme historique comme lecture de l’histoire du monde à l’aune de celle des rapports sociaux de production. Gramsci étudie à son tour comment la superstructure, tout en dérivant de l’infrastructure, peut exercer une domination, les classes dominantes luttant pour imposer l’hégémonie de leurs valeurs sur les mentalités et la culture – après quoi ces valeurs