Politique

À droite, Gramsci et ses avatars

Sociologue

Le soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2007, Jean-Marie le Pen disait déjà avoir remporté la bataille des idées. Aujourd’hui, Éric Zemmour porte à son propre crédit la victoire des idéaux conservateurs dans les imaginaires. Pourquoi cet objectif est-il constamment réaffirmé par la droite radicale ? De nouvelles dynamiques et de nouveaux relais reposent en effet l’ancienne question du « gramscisme de droite », tactique par laquelle la droite radicale, sans s’imposer définitivement dans les urnes, façonne depuis près de quarante ans un débat public de plus en plus étriqué.

«Citant Gramsci, nous n’avons cessé de dire que dans les sociétés développées, la conquête du pouvoir politique passe par celle du pouvoir culturel […]. Jacquou le Croquant a plus fait pour la venue de la gauche au pouvoir que les déclarations de Pierre Mauroy » peut-on lire dans les actes du XVIe colloque national du G.R.E.C.E.[1], intitulé Pour un « gramscisme de droite ». Dans ce texte d’avril 1982, Alain de Benoist reconnaît l’inspiration, au sein de la Nouvelle Droite, de l’intellectuel italien Antonio Gramsci, une référence promise à un bel avenir dans les rangs de la droite radicale – on la retrouve jusqu’aux discours récents de Marion Maréchal Le Pen.

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Affichant son « gramscisme », la droite n’en est pas à sa première allégeance aux figures historiques de la gauche intellectuelle ; d’autres que les membres du G.R.E.C.E. avaient glissé dans la prose de Pasolini leur propre exaltation du primitivisme, ou avaient reconnu en Georges Orwell le champion des luttes contre les dictatures qui ne disent pas leur nom. Qu’en est-il de l’usage, à droite, d’Antonio Gramsci ? La trajectoire de cette référence aide à comprendre par quels biais la droite radicale peut aujourd’hui habiller le débat public de ce camaïeu si pauvre en nuances, cousu de questions sécuritaires, de laïcité intransigeante, d’obsessions « antiwoke ».

Le concept le plus récupéré de la pensée gramscienne, l’hégémonie culturelle, réélabore dans les Cahiers de prison la distinction bien connue dans l’œuvre de Marx entre infrastructure et superstructure : cet axiome fondamental du marxisme pose la primauté de l’infrastructure et fonde le matérialisme historique comme lecture de l’histoire du monde à l’aune de celle des rapports sociaux de production. Gramsci étudie à son tour comment la superstructure, tout en dérivant de l’infrastructure, peut exercer une domination, les classes dominantes luttant pour imposer l’hégémonie de leurs valeurs sur les mentalités et la culture – après quoi ces valeurs


[1] Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne, qui représente un courant de pensée influent pour la droite radicale de la seconde moitié du XXe siècle : la Nouvelle Droite, dont le représentant le plus connu est Alain de Benoist.

[2] Cécile Alduy et Stéphane Wahnich, Marine Le Pen prise aux mots. Décryptage du nouveau discours frontiste, Seuil, 2015

[3] Alduy et Wahnich renvoient ici au livre de Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l’ombre des Le Pen.

[4] André Salem et Maurice Tournier Maurice, « Qui est ton cousin ? Etude de “parentages” dans la presse de droite (1973-1982) », Mots, n°12, mars 1986. Numéro spécial. Droite, nouvelle droite, extrême droite. Discours et idéologie en France et en Italie, sous la direction de Simone Bonnafous et Pierre-André Taguieff, pp. 65-89

[5] Une étude importante (Mark Ledwich, Anna Zaitsev, Algorithmic Extremism: Examining YouTube’s Rabbit Hole of Radicalization) montre que l’algorithme de la plateforme valorise les contenus politiquement neutres, au détriment des contenus radicaux.

[6] Papacito l’annonce clairement dans une interview donnée à la chaîne YouTube de Valeurs Actuelles

[7] Furio Jesi, Culture de droite, Éditions La Tempête, 2021, traduit de l’italien par A. Savona

[8] On se réfère ici à la préface que donne Andrea Cavalletti à l’édition française de Culture de droite.

[9] Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, n°2-3, 1976, pp. 3-73

[10] Selon les mots de Pierre Bourdieu et de Luc Boltanski

Benjamin Tainturier

Sociologue, Doctorant au médialab de SciencesPo

Rayonnages

Politique

Mots-clés

Droite

Notes

[1] Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne, qui représente un courant de pensée influent pour la droite radicale de la seconde moitié du XXe siècle : la Nouvelle Droite, dont le représentant le plus connu est Alain de Benoist.

[2] Cécile Alduy et Stéphane Wahnich, Marine Le Pen prise aux mots. Décryptage du nouveau discours frontiste, Seuil, 2015

[3] Alduy et Wahnich renvoient ici au livre de Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l’ombre des Le Pen.

[4] André Salem et Maurice Tournier Maurice, « Qui est ton cousin ? Etude de “parentages” dans la presse de droite (1973-1982) », Mots, n°12, mars 1986. Numéro spécial. Droite, nouvelle droite, extrême droite. Discours et idéologie en France et en Italie, sous la direction de Simone Bonnafous et Pierre-André Taguieff, pp. 65-89

[5] Une étude importante (Mark Ledwich, Anna Zaitsev, Algorithmic Extremism: Examining YouTube’s Rabbit Hole of Radicalization) montre que l’algorithme de la plateforme valorise les contenus politiquement neutres, au détriment des contenus radicaux.

[6] Papacito l’annonce clairement dans une interview donnée à la chaîne YouTube de Valeurs Actuelles

[7] Furio Jesi, Culture de droite, Éditions La Tempête, 2021, traduit de l’italien par A. Savona

[8] On se réfère ici à la préface que donne Andrea Cavalletti à l’édition française de Culture de droite.

[9] Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, n°2-3, 1976, pp. 3-73

[10] Selon les mots de Pierre Bourdieu et de Luc Boltanski