International

L’équation stratégique russe : gains limités, coûts insupportables

Politiste

La guerre russo-ukrainienne a commencé il y a un mois seulement, mais la rapidité des évènements laisse penser qu’on peut déjà tirer quelques conclusions de cette invasion manquée. En effet, le réajustement des objectifs russes montre qu’une désescalade stratégique est en cours, ce qui n’exclut pas une intensification des combats. Il est ici pertinent de développer l’idée d’une asymétrie marquée entre les gains russes, essentiellement territoriaux, et les coûts économiques et politiques dont tout indique qu’ils sont massifs et, probablement, permanents ou de long terme.

Les gains probables : une avancée territoriale limitée

Après un mois d’opérations militaires intenses, il est désormais certain que la Russie ne peut plus espérer un changement de régime à Kiev et qu’une occupation de la totalité de l’Ukraine est impossible. Les gains territoriaux de la Russie sont pour l’instant limités et devraient le rester. En effet, si la carte militaire est encore dynamique dans le Sud et l’Est, les faiblesses de l’appareil militaire russe (logistique, moral des troupes, renseignement) sont trop structurelles pour espérer une amélioration rapide. Or, toute conquête territoriale implique notamment une extension des lignes logistiques et les pertes russes interdisent probablement des offensives majeures (voir plus bas). De plus, l’usage des bombardements contre les villes ne permettra pas d’avancées significatives et l’armée russe devrait sacrifier des ressources considérables pour conquérir des villes importantes, comme c’est le cas à Marioupol (on se souvient des difficultés américaines lors de la prise de Mossoul avec des ressources incomparablement plus importantes).

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Les seuls progrès possibles sont maintenant à l’est d’une ligne entre Mikolaïv et Kharkiv avec pour enjeu le maintien d’une continuité entre les républiques séparatistes et la Crimée (d’où l’importance de Marioupol) et l’élargissement des zones conquises dans le Donbass. Par ailleurs, des reculs pourraient intervenir en raison de contre-offensives ukrainiennes, notamment dans la région de Kherson, et la ligne de front existante sur le Donbass n’a pour l’instant pas été débordée. Enfin, la multiplication des protestations pacifiques dans les villes tenues par l’armée russe indique la difficulté à stabiliser les territoires conquis.

La partition de l’Ukraine est probable, mais la modestie des gains territoriaux russes interdit a priori un scénario coréen ou allemand où pourraient coexister deux entités ukrainiennes concurrentes. La Russie peut sanctuariser ses gains dans


[1] Les pertes ukrainiennes sont probablement très élevées en raison de la dissymétrie des opérations, car les Ukrainiens vont au contact pour utiliser les antitanks et subissent des bombardements importants. Cependant, les effets sont très différents en raison de la mobilisation générale de la population, il n’y a pas de possibilité d’épuisement démographique des forces ukrainiennes.

[2] Sur la trajectoire de l’Ukraine depuis 1990, voir Alexandra Goujon, L’Ukraine : de l’indépendance à la guerre, Le Cavalier Bleu, 2021.

[3] Sur les mobilisations de 2014, voir Ioulia Shukan, Génération Maïdan. Vivre la crise ukrainienne, Éditions de l’Aube, 2016.

Gilles Dorronsoro

Politiste, Professeur de science politique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre senior de l'IUF

Notes

[1] Les pertes ukrainiennes sont probablement très élevées en raison de la dissymétrie des opérations, car les Ukrainiens vont au contact pour utiliser les antitanks et subissent des bombardements importants. Cependant, les effets sont très différents en raison de la mobilisation générale de la population, il n’y a pas de possibilité d’épuisement démographique des forces ukrainiennes.

[2] Sur la trajectoire de l’Ukraine depuis 1990, voir Alexandra Goujon, L’Ukraine : de l’indépendance à la guerre, Le Cavalier Bleu, 2021.

[3] Sur les mobilisations de 2014, voir Ioulia Shukan, Génération Maïdan. Vivre la crise ukrainienne, Éditions de l’Aube, 2016.