India song – sur Toute une nuit sans savoir de Payal Kapadia
Sur l’écran, on voit une fête, quelques dizaines de jeunes gens qui dansent joyeusement. L’image est en noir et blanc, elle est plutôt sombre, vibrante, pas totalement nette, comme une archive déjà un peu usée. Et elle est muette. Le film, lui, n’est pas muet, mais ce qu’on entend dans la bande-son ne correspond pas exactement aux images : ce n’est pas la musique et le brouhaha de la fête qui arrive à nos oreilles mais la voix d’une jeune femme qui lit des lettres qu’elle semble avoir adressées au garçon qu’elle aime.
Son et image sont donc disjoints, mais pas sans rapport. Ce rapport, c’est au spectateur de le deviner, de l’imaginer, de l’établir. Hypothèse probable : les deux amoureux qui échangent des lettres se sont peut-être connus dans cette fête, ou du moins y ont participé. Cet écart entre image et son et ce travail du spectateur pour le combler se poursuivra tout au long de Toute une nuit sans savoir de la jeune cinéaste indienne, Payal Kapadia.

Par la suite défilent d’autres images de natures diverses, dont l’origine est parfois claire, parfois incertaine : archives personnelles, films de famille, archives historiques, plans tournés par Kapadia, images de caméra de surveillance, ou même dessins poétiques. Mais toutes ont cette patine d’archives (vraies ou fausses), cette matière fourmillante et fragile qui est l’opposé de la netteté numérique, toutes projettent cette sensation d’images mentales venues du passé comme des retours du refoulé, des traces, des vestiges historiques ou mémoriels, collectifs ou intimes. Des images comme des réminiscences proustiennes, ou modianesques.
Au son, la jeune femme lit d’autres lettres. On comprend qu’elle est séparée de son amoureux pour des raisons à la fois spécifiques à l’Inde et universelles : ils n’appartiennent pas à la même caste, ce système de classes ultra-rigide qui perdure là-bas. Amour impossible, les familles, la société, ne l’acceptent pas – c’est la jurisprudence Roméo & Juliette version indienne