Société

Changer pour que tout change ! Un programme politique féministe

Philosophe, Philosophe

De Santiago à Istanbul, de Paris à Buenos Aires, les femmes s’assemblent, se rassemblent, donnent corps à leur désirs et visions du monde. Ce peuple féministe d’en bas allie lutte contre les dominations croisées et prise de parole émancipatrice. Plus encore, il s’affranchit des cartographies dominantes de la planète en récusant les hiérarchies centre/marge et Nord/Sud, inhérentes à l’État-nation et à l’ordre international patriarcaux.

«Il faut que tout change pour que rien ne change » nous confie Burt Lancaster sur la terrasse d’un palais sicilien dans Le guépard de Visconti. Cette tirade est issue du livre de Lampedusa publié à titre posthume en 1958 ; elle est adressée par le prince Salina à l’émissaire de la République Italienne lors de la guerre révolutionnaire italienne menée par Garibaldi. Ces propos sont ceux d’un aristocrate sicilien qui ne croit pas aux changements politiques sous le soleil de midi. Affirmer que tout change pour que rien ne change, ce fut aussi, dans un tout autre registre, plus d’un siècle avant, le cœur de l’analyse de la bourgeoisie développée par Marx dans Le manifeste du parti communiste.

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Celle-ci, explique Marx, est d’essence révolutionnaire : non seulement elle a révolutionné le monde féodal en en détruisant de façon irréversible tous les aspects, économiques, politiques, idéologiques mais, de façon plus fondamentale encore, elle se révolutionne en permanence pour ne pas être détruite à son tour. En produisant des changements incessants dans les moyens de production, dans la mondialisation toujours accrue des prédations, la bourgeoisie s’est imposée comme classe dominante et est parvenue à conserver le pouvoir à ce prix. Le livre Révolution du candidat Emmanuel Macron, en 2017, à la présidence de la République française en est l’ultime manifestation. Il faut que tout change pour que les structures de pouvoir de la bourgeoisie demeurent inchangées.

Quand les expulsées reprennent l’impulsion !

Cette appropriation de l’ethos révolutionnaire par les dominants, au service de la conservation, à la fois sur le plan politique, économique ou spirituel, est rendue possible à la condition que les femmes restent à la place qui leur a été assignée par les hommes. L’ordre social repose sur une domination de genre. La philosophe féministe matérialiste Silvia Federici a souligné avec une grande pertinence combien, dans l’histoire du libéralisme, « le passage de l’indust


[1] Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal, La Fabrique, 2019 pour la traduction française, p. 145-146.

[2] Ibid., p. 64.

[3] Ibid., p. 63.

[4] Michel de Certeau, La prise de parole et autres écrits politiques, édition établie et présentée par Luce Giard, Seuil, coll. « Points Essais », 1994, chap. 3.

[5] bell hooks, Tout le monde peut être féministe, Éditions Divergence, 2020, p. 67-68.

[6] Ibid., p. 68.

[7] Judith Butler, Antigone : la parenté entre vie et mort, EPEL, 2001 pour la traduction française, p. 10.

[8] Rita Laura Segato, L’écriture sur le corps des femmes assassinées de Ciudad Juárez, Payot, 2021 pour la traduction française.

[9] Judith Butler, Rassemblement, Fayard, 2016 pour la traduction française, p. 196.

Fabienne Brugère

Philosophe, Professeure à l'université Paris 8

Guillaume Le Blanc

Philosophe, Professeur à l'Université de Paris-Diderot

Mots-clés

Féminisme

Notes

[1] Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal, La Fabrique, 2019 pour la traduction française, p. 145-146.

[2] Ibid., p. 64.

[3] Ibid., p. 63.

[4] Michel de Certeau, La prise de parole et autres écrits politiques, édition établie et présentée par Luce Giard, Seuil, coll. « Points Essais », 1994, chap. 3.

[5] bell hooks, Tout le monde peut être féministe, Éditions Divergence, 2020, p. 67-68.

[6] Ibid., p. 68.

[7] Judith Butler, Antigone : la parenté entre vie et mort, EPEL, 2001 pour la traduction française, p. 10.

[8] Rita Laura Segato, L’écriture sur le corps des femmes assassinées de Ciudad Juárez, Payot, 2021 pour la traduction française.

[9] Judith Butler, Rassemblement, Fayard, 2016 pour la traduction française, p. 196.