Littérature

Comme l’air d’un conte – sur Mur de nuages de Marie Modiano

Critique

C’est un monde dense et opaque. Insaisissable. Laid. Les décors et les personnages dérangent. Du désert à la grande ville, Marie Modiano suit l’existence de Lantos Soidnell, orphelin ne pouvant échapper à une vie miteuse et sans perspective. Sauf peut-être dans un monde autre, celui de l’intuition et du fabuleux. Mur de nuages est un conte torturé, miroir déformant – ou verre grossissant ? – de notre société.

Mur de nuages porte bien son nom : on plonge dans le récit et on le traverse en manquant de prises, il semble aéré, fait d’une suite disparate des expériences de son personnage principal, Lantos Soidnell. Mais comme une nappe de brouillard, la densité de son histoire tient dans l’opacité qui nous cerne en même temps que le personnage. Le monde imaginé par Marie Modiano s’échafaude d’une bribe à l’autre jusqu’à nous envelopper, jusqu’à tout assimiler à lui-même : les songes de Lantos, nos rapports humains, et les défaillances de nos sociétés.

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C’est à travers la vie de Lantos que nous découvrons ce monde. Nous le suivons dans l’arc que parcourt son existence difficile, de son enfance dans l’orphelinat de la Maison des Enfants du Désert jusqu’à peu avant ses trente ans. Nous le suivons du désert à la grande ville de Vera Sol, longtemps fantasmée par l’enfant avant qu’il ne s’y installe adulte, et se heurte à son impitoyable violence sociale. Dans cet arc nous espérons, nous craignons, nous explorons avec Lantos ses interrogations sans fin. Et c’est en même temps trop peu de temps dans ce monde pour en percer les mystères.

Lantos est orphelin, recueilli alors qu’il est abandonné bébé à l’entrée du désert, derrière une caisse automatique de station-service. Son enfance à l’orphelinat est aussi âpre que le désert, et son adoption par Monsieur et Madame Soidnell n’infléchit pas le récit vers une salvation hors de cet enfer désertique. Au fil du texte, nous comprenons que le désert est moins un épisode de la vie de Lantos que la trame profonde de tout son être. Comme la poussière retourne à la poussière, Lantos n’échappe pas au sable du désert, ni à la rudesse qui a toujours accompagné son existence.

Quelques éléments de l’histoire, presque fantastiques, laissent pourtant espérer le contraire : une forme de magie accompagne le petit garçon jusque dans la vie adulte, comme une force de protection occulte pour tenter inlassablement de contrevenir aux coups du sorts.


Rose Vidal

Critique, Artiste