Politique

Quand l’exclusion politique des classes populaires favorise l’essor du FN/RN

Sociologue

Les 10 et 24 avril, Marine Le Pen a bénéficié une nouvelle fois du soutien électoral des classes populaires vivant dans les zones rurales. Une enquête au long cours sur le militantisme FN/RN dans une petite ville de Lorraine témoigne du rôle considérable exercé par le sentiment d’exclusion politique et de non-représentation des milieux populaires ruraux dans l’essor du parti d’extrême droite.

Le constat est sans appel : à l’occasion de l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen est, encore une fois, la candidate qui attire le plus les suffrages des ouvriers, des employés et des non-diplômés. Si d’autres segments populaires votent à gauche ou, surtout, s’abstiennent, le vote FN/RN reste particulièrement fort dans les mondes ruraux éloignés des métropoles et touchés par la désindustrialisation.

Comment comprendre cette force du FN/RN en milieu populaire rural ? Peut-on parler d’un mouvement populiste, conservateur, néo-poujadiste[1] ? Quelle fraction de classe mobilise-t-il en priorité ? S’agit-il d’un vote d’adhésion doctrinale ou d’un vote protestataire ? Pourquoi les classes populaires rurales ne votent-elles pas pour les partis de gauche ? Pour répondre sérieusement à ces questions, multiplier les enquêtes précises dans différents contextes serait indispensable. Il faut notamment distinguer les engagements politiques selon leur intensité. Un électeur occasionnel ou régulier, un simple militant ou un porte-parole d’un parti identique n’ont pas forcément grand-chose en commun.

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Plus généralement, on ne soutient pas le FN/RN pour les mêmes raisons à Versailles, dans les territoires d’outre-mer ou à Hénin-Beaumont, donc selon les territoires et les milieux sociaux. Encore plus que d’autres partis, le FN/RN a toujours attiré une mosaïque de profils aux attentes contradictoires, qu’il s’agisse de sa base électorale ou militante. L’analyse de la dynamique autour de Marine Le Pen ne peut donc pas se réduire à une explication univoque.

Cette fragmentation du FN/RN se retrouve dès l’échelle microscopique d’une ville populaire de Lorraine, Grandmenil[2], 5 500 habitants. J’y observe, depuis 2014, des membres du FN[3] mais aussi d’autres acteurs non-frontistes (élus locaux, Gilets jaunes, simples habitants). Cette approche ethnographique permet de replacer les pratiques politiques dans leur contexte social. Seul parti actif à Grandmenil, le FN y mob


[1] Sur l’enjeu de la qualification de l’électorat FN, voir Collovald, Annie, Le « populisme du FN ». Un dangereux contresens, Éditions du Croquant, 2004.

[2] La ville et les acteurs sont anonymisés.

[3] L’enquête a commencé avant le changement de nom du parti. Pour la cohérence de l’écriture, l’ancien nom (FN) sera privilégié dans le cours de l’article.

[4] Pierru Emmanuel et Vignon Sébastien, « Comprendre les votes frontistes dans les mondes ruraux. Une approche ethnographique des préférences électorales ». In Mauger Gérard et Pelletier Willy, Les classes populaires et le FN : explications de vote. Vulaines-sur-Seine : Éditions du Croquant, 2017, p. 77-100.

[5] En 2012, d’après les données de l’INSEE, la population de la commune comptait 20,1 % d’ouvriers, 14,1 % d’employés, 2,2 % de cadres et 8,1 % de professions intermédiaires contre respectivement 13,1 %, 16,5 %, 9 % et 14,1 % pour la France métropolitaine.

[6] En 2016, les personnes titulaires d’un baccalauréat ou plus y représentent 31 % de la population non scolarisée, contre 45,9 % pour la France métropolitaine, selon l’INSEE.

[7] Localement, ce sentiment apparaît notamment dans l’absence des autres partis, le refus des étiquette « politiques » par beaucoup d’élus locaux, et, surtout, dans les propos des Gilets jaunes, fin 2018.

[8] Voir Crépon Sylvain, Dézé Alexandre et Mayer Nonna (dir.), Les faux-semblants du Front national : sociologie d’un parti politique, SciencesPo, les presses, 2015.

[9] Bouron Samuel et Drouard Maïa (dir.), Les beaux quartiers de l’extrême droite, Agone, n° 54, 2014.

[10] Ces exemples, exposés ici de manière très lacunaire, sont détaillés dans le quatrième chapitre de Challier Raphaël, Simples militants. Comment les partis démobilisent les classes populaires, PUF, 2022.

[11] Lehingue Patrick, « L’électorat du Front National. Retour sur deux ou trois idées reçues », in Mauger Gérard et Pelletier Willy (dir.), Les classes populaires et le FN : explications de vote, Vulaines-sur-Seine

Raphaël Challier

Sociologue, Docteur à Paris 8

Notes

[1] Sur l’enjeu de la qualification de l’électorat FN, voir Collovald, Annie, Le « populisme du FN ». Un dangereux contresens, Éditions du Croquant, 2004.

[2] La ville et les acteurs sont anonymisés.

[3] L’enquête a commencé avant le changement de nom du parti. Pour la cohérence de l’écriture, l’ancien nom (FN) sera privilégié dans le cours de l’article.

[4] Pierru Emmanuel et Vignon Sébastien, « Comprendre les votes frontistes dans les mondes ruraux. Une approche ethnographique des préférences électorales ». In Mauger Gérard et Pelletier Willy, Les classes populaires et le FN : explications de vote. Vulaines-sur-Seine : Éditions du Croquant, 2017, p. 77-100.

[5] En 2012, d’après les données de l’INSEE, la population de la commune comptait 20,1 % d’ouvriers, 14,1 % d’employés, 2,2 % de cadres et 8,1 % de professions intermédiaires contre respectivement 13,1 %, 16,5 %, 9 % et 14,1 % pour la France métropolitaine.

[6] En 2016, les personnes titulaires d’un baccalauréat ou plus y représentent 31 % de la population non scolarisée, contre 45,9 % pour la France métropolitaine, selon l’INSEE.

[7] Localement, ce sentiment apparaît notamment dans l’absence des autres partis, le refus des étiquette « politiques » par beaucoup d’élus locaux, et, surtout, dans les propos des Gilets jaunes, fin 2018.

[8] Voir Crépon Sylvain, Dézé Alexandre et Mayer Nonna (dir.), Les faux-semblants du Front national : sociologie d’un parti politique, SciencesPo, les presses, 2015.

[9] Bouron Samuel et Drouard Maïa (dir.), Les beaux quartiers de l’extrême droite, Agone, n° 54, 2014.

[10] Ces exemples, exposés ici de manière très lacunaire, sont détaillés dans le quatrième chapitre de Challier Raphaël, Simples militants. Comment les partis démobilisent les classes populaires, PUF, 2022.

[11] Lehingue Patrick, « L’électorat du Front National. Retour sur deux ou trois idées reçues », in Mauger Gérard et Pelletier Willy (dir.), Les classes populaires et le FN : explications de vote, Vulaines-sur-Seine