International

Géopolitiques de l’Eurovision

Philosophe

Certes l’Eurovision est une tapageuse fête pop, une orgie artificielle, une bacchanale du mauvais goût. En un mot : le kitsch même. Mais l’Eurovision vibre également au rythme des mouvements politiques et géopolitiques qui font la vie du continent. La preuve une nouvelle fois samedi avec la victoire de l’Ukraine.

L’heure des douze points a sonné. L’Eurovision s’affirme une nouvelle fois comme un magnifique porte-voix pour les forces de progrès : un excellent observatoire des dynamiques qui travaillent une Europe conçue de la manière la plus large possible. Dans la nuit de samedi à dimanche, l’Ukraine a emporté la soixante-sixième édition du concours Eurovision de la Chanson 2022 avec le groupe Kalush Orchestra et son titre « Stefania ».

publicité

Classée quatrième par les jurys professionnels, avec 192 points, elle termina finalement première avec le chiffre impressionnant de 439 points accordés par les votes du public. Concrètement, cela signifie que sur les trente-neuf pays votant, les votes publics de vingt-huit pays ont accordé douze points au groupe ukrainien (à quoi s’ajoutent huit votes à dix points, deux votes à 8 et un vote à 7 point). Autre résultat remarquable quoique peut-être moins éclatant : la Moldavie, classée par les jurys vingtième sur vingt-cinq avec seulement quatorze points accordés, fut vengée par le public qui la fit remonter à la 7e place en lui décernant un total de 239 points (le second choix du public). 

Si, depuis plusieurs semaines, les parieurs annonçaient l’Ukraine grande favorite, samedi soir, donc, le public européen a confirmé leurs pronostics. Il a massivement plébiscité l’Ukraine en guerre, martyrisée par l’invasion russe, mais aussi la Moldavie voisine, déchirée par la zone dite « autonome » de Transnistrie, parfois baptisée « Dernier des Soviets » ou « poudrière de l’Europe » en raison de l’impressionnante quantité d’armes russes contenue dans cette fine bande de terre située entre l’Ukraine et la Moldavie. On peut bien sûr s’accorder avec le présentateur Stéphane Bern qui commenta samedi soir que « la politique doit rester à la porte de l’Eurovision ». Mais comment comprendre que toute l’Europe danse au rythme du telenka et du sopilka, deux sortes de flûtes traditionnelles dont jouaient les musiciens de Kalush Orchestra ? Difficile de n


Thierry Hoquet

Philosophe, Professeur à l'Université de Paris-X Nanterre