Littérature

Rire et courir – sur des livres de Cyrille Martinez et Jean-Charles Massera

Critique

Quoique très différents dans leurs moyens, les deux écrivains auscultent des gens comme nous : en pleine course d’endurance dans le politique, c’est-à-dire dans le réel intime et corporel. Des sans-voix lunaires accomplissent des marathons chez Martinez, des bobos déphasés ne s’arrêtent plus de parler chez Massera. Et tous survivent dans l’immédiat.

Faut-il continuer ? Comment continuer ? Peut-on continuer ? Est-ce qu’on ne serait pas plutôt exténué·es ? Politiquement, c’est-à-dire personnellement. Il y en aurait un qui écoute (Massera) et l’autre qui court (Martinez). Ce n’est pas incompatible, d’autant que chacun sait faire les deux. Massera, par exemple, a chanté le cyclisme avec son personnage Jean de la Ciotat (POL, 2004 et Verticales, 2007). Martinez a tendance à écouter et douter (Le poète insupportable, Questions théoriques, 2017). L’un et l’autre confirment que martyr, ce n’est pas forcément pourrir un peu. On s’hydrate et on repart.

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La condition pavillonnaire

Avec Massera, il faut avouer une crise de fou rire dès la première page, où un officiel préside à la démolition d’un lotissement Catherine Mamet. « La lutte contre l’habitat pavillonnaire est une préoccupation très récente en France » : il fait bien de le préciser. Les moins de cinquante ans n’ont aucune idée de qui est « Catherine Mamet, une femme promoteur » dont les pubs ont charmé les oreilles de leurs aîné·es entre 1988 et 1990, tandis qu’iels écoutaient Bernard Lenoir sur Europe 1. Par conséquent, iels ne connaissent pas non plus le concert de The Cure à Orange qu’évoque Cyrille Martinez.

La maison Catherine Mamet, c’est la maison individuelle en kit pour prolo, comme Phénix ou Pierre. À choisir sur catalogue, légèrement customisable. Les maisons Catherine Mamet jouxtent le « PAYS OÙ LA VIE N’EST PAS CHÈRE » décrit par Martinez, tel celui du Pontet, près d’Avignon où il est né : « un centre commercial de 17 900 mètres carrés et une zone commerciale parmi les plus étendues d’Europe » avec ses « lotissements en crépi beige, volets lavande ». Donc c’est l’histoire de gens entassés et devenus dingues dans leur cage consumériste pendant que l’économie plongeait.

Chez Massera, beaucoup de néolibéraux en transe et plutôt en Île-de-France, chez Martinez, un décor de facho·ttes gentil·les du Sud, toujours la galéjade aux lèvres. Deux histo


Éric Loret

Critique, Journaliste

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