Cinéma

Cannes 2022 : une édition réussie, un palmarès manqué

Journaliste

Le Festival de Cannes s’est achevé samedi sur l’attribution de la Palme d’or à Sans Filtre de Ruben Östlund, caricature du film boursouflé, manipulateur et simpliste. Au mépris d’un nombre significatif d’œuvres mémorables – ayant parié sur la capacité du cinéma à donner, à percevoir et à comprendre davantage que ce qui est dit et montré –, ce qu’a récompensé l’essentiel du palmarès de cette 75e édition relève de la surenchère, du toujours plus, de la communication spectaculaire.

La première et essentielle vertu du Festival de Cannes est d’être un condensé d’éléments et de comportements d’ordinaire considérés comme hétérogènes, voire antinomiques. Dans ce creuset éphémère s’entremêlent, plus que nulle part ailleurs, ambition artistique, agendas politiques, marchandages et recherche du profit, frissons glamour, fétichismes de toutes sortes, manœuvres médiatiques, débats sur les règles et les techniques, etc.

Cannes sert à ça, et « ça » sert la vie du cinéma, toute l’année, partout. Mais même en étant conscient et réjoui de cette impureté fondamentale et nécessaire, il faut pourtant prendre acte d’une coupure ouverte qui traversé la 75e édition, celle qui s’est tenue du 17 au 28 mai 2022.

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Une édition stratégique

Cette édition revêtait une importance particulière, à un moment où le cinéma se trouve confronté à divers problèmes de natures différentes, mais qui se combinent. La pandémie a fait fermer les salles un peu partout dans le monde, et dissuadé une partie du public de s’y rendre même quand elles étaient ouvertes.

La montée en puissance des plateformes en ligne modifie les formes de circulation des productions audiovisuelles, y compris des films. La puissance d’attraction des séries interfère avec la place qu’occupait le cinéma dans les loisirs populaires aussi bien que dans l’imaginaire et dans la réflexion sur les représentations.

Ces phénomènes appellent des réponses, suscitent des inquiétudes qu’enveniment à l’envi des discours catastrophistes complaisamment relayés par des médias plus pressés de surfer sur une très improbable mais accrocheuse mort du cinéma que d’analyser les situations et d’imaginer les évolutions évidemment nécessaires.

À quoi s’ajoute, notamment en France, un déficit criant de politique publique mobilisée par une approche culturelle, remplacée au mieux par un saupoudrage financier lorsque les plaintes se font trop fortes, sur fond de réformes « gestionnaires » délétères.

Beaucoup des lamentations récemmen


[1] À quoi il faut adjoindre l’invention d’un « Prix du 75e », récompense artificielle et d’ailleurs passée inaperçue, attribuée au film des frères Dardenne.

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Notes

[1] À quoi il faut adjoindre l’invention d’un « Prix du 75e », récompense artificielle et d’ailleurs passée inaperçue, attribuée au film des frères Dardenne.