Cinéma

Quand des Juifs oppriment des Juifs – sur Mizrahim, les oubliés de la Terre Promise de Michale Boganim

Journaliste

Véritable objet de cinéma documentaire, le nouveau film de la réalisatrice franco-israélienne Michale Boganim donne à voir l’oppression en Israël des Mizrahim, ces minorités venues du Maghreb et du Moyen-Orient. Boganim a construit son film comme une lettre à sa fille, tressant avec talent et pertinence l’histoire collective des Juifs orientaux d’Israël et l’histoire intime de sa famille.

Des HLM tristes, du sable, de la poussière, pas un centimètre carré de verdure : c’est dans ces villes champignons qui ont surgi dans les confins du désert israélien que furent placés les immigrants mizrahim, parmi lesquels le père de Michale Boganim, la réalisatrice (d’origine israélienne, française, marocaine, ukrainienne, juive, un melting pot à elle seule). Les Mizrahim, ce sont les Juifs originaires du Maghreb et du Moyen-Orient (Irak, Yémen, Iran, Turquie, Kurdistan, Ouzbékistan…) plus connus en France sous l’appellation « Séfarade » (notion passée dans l’entendement courant mais étymologiquement inexacte car elle désigne à l’origine les Juifs d’Espagne). Pour le dire grossièrement et simplement, les Mizrahim sont les Juifs arabes.

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Dans l’Israël naissant, fondé et dominé par les Ashkénazes, ces Juifs orientaux ont été mal accueillis. Ils rêvaient de « terre promise », de miel et d’orangers, de bord de mer et de palmiers, de liberté et de démocratie, de la Jérusalem ancestrale ou du Tel Aviv Bauhaus, ils furent exilés dans des bourgades ingrates, à bonne distance des centres de prospérité, orientés vers les métiers les plus difficiles et les moins rémunérés, ou vers le chômage. L’establishment ashkénaze les méprisait, les considérait comme non éduqués, voire arriérés.

Quoique moins médiatisée que la question israélo-palestinienne, cette domination israélo-ashkénaze sur les Israélo-Mizrahim est chose vaguement connue en dehors d’Israël, mais Michale Boganim nous informe ici de son ampleur et de sa brutalité absolument sidérantes. Ainsi, les arrivants mizrahim étaient-ils acheminés vers les villes-frontières de nuit, pour ne pas éveiller leurs soupçons : ils découvraient leur relégation le lendemain matin, déjà trop tard. Dans les écoles, il y avait parfois deux entrées, l’une pour les Mizrahim, l’autre réservée aux Ashkénazes, et un mur de séparation dans la cour : de la ségrégation entre Juifs. Séquence encore plus effarante : des vieilles mères juive


Serge Kaganski

Journaliste, Critique de cinéma