Cinéma

À l’ombre de l’Histoire – sur Ventura de Pedro Costa et l’exposition « Le reste est ombre » au Centre Pompidou

Critique

La sortie – huit ans après sa réalisation – de Ventura de Pedro Costa coïncide avec une exposition du cinéaste « Le reste est ombre » (cosignée avec le sculpteur Rui Chafes et le photographe Paulo Nozolino) au Centre Pompidou. L’occasion de s’interroger sur la façon d’éprouver ces scénographies : matière plastique ou temporelle en mouvement sur un grand écran ou parcours à tâtons dans la « boîte noire » d’une exposition. Autant de parcours hantés dont l’écho évoque la quête d’une rétribution vis-à-vis des douleurs de l’Histoire.

C’est un film que l’on croyait perdu dans les limbes. Sous son titre originel, Cavalo Dinheiro (« Cheval Argent »), il avait vécu, sous nos latitudes cinéphiles, une existence clandestine. Présenté au Festival de Locarno en 2014, n’ayant inexplicablement jamais trouvé de distributeur français, le film semblait avoir été aspiré par les ténèbres, dont il avait pourtant été arraché. Costa a toujours modelé son cinéma, en sculptant l’antimatière de la nuit et de l’obscurité, pour mieux y soustraire de l’oubli les vies et parcours de ses personnages réprouvés : Ventura, l’ancien maçon, « guide » de la communauté capverdienne (qui était déjà l’inspirateur du précédent En avant, jeunesse ! en 2006), son acolyte Vitalina (dont la destinée de veuve arrivée du Cap-Vert trois jours après la mort de son mari, sera racontée dans le film suivant Vitalina Varela en 2020).

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Cette fois, cette plongée au cœur de la matière noire avait-t-elle failli se retourner contre le film lui-même ? Perdu, il ne l’était pas non plus totalement. Ceux qui voulaient le voir avaient fini par le voir, par des moyens pas toujours illégaux d’ailleurs (bénie soit la Fnac de Lisbonne qui continuait à proposer le DVD portugais pour 10 euros). Ce film paraissait d’autant plus condamné à la relégation que l’œuvre dont il était la poursuite, Vitalina Varela, avait lui bien fini par sortir en salle, malgré là encore plusieurs reports post-Covid.

Or voici que réapparait Ventura, presque au moment où on ne s’y attendait plus. Ce « Cheval Argent » – dont la seule occurrence dans le dialogue nous apprendra qu’il a fini dévoré par les vautours – est finalement plus opiniâtre qu’on ne le soupçonnait. Malgré son étrangeté certaine, ce retour à contretemps n’est pas si paradoxal. Il est même très fidèle à l’esprit de Pedro Costa, sur au moins deux points : le temps et la communauté.

Le temps et Pedro Costa, vaste question. Voilà un cinéaste qui ne façonne pas des films pour le seul aujourd’hui. Son art, débar