Hommage

Jacques Villeglé, poète de la rue

Plasticien, poète

L’artiste aux affiches lacérées s’est éteint le 6 juin 2022, à l’âge de 96 ans. Regarder, faire attention : si Jacques Villeglé devait tenir un rôle, ce serait celui de témoin, enquêteur, promeneur, sociologue amateur. Un artiste modeste à l’évidence, un artiste anonyme de ses propres vœux, mais dont le nom et l’œuvre associée n’auront manqué de marquer l’art de notre époque.

Comment définir la peinture de Jacques Villeglé ? D’abord, elle n’est même pas ce qu’on pourrait appeler de la peinture. Elle n’est pas peinte par la main de l’auteur et elle invente d’autres pratiques que celles qui sont habituellement associées aux techniques du pinceau et de la toile. Alors, rangeons Villeglé sous l’étiquette-valise d’artiste plasticien. Ajoutons, marcheur, objecteur, lacérateur, colleur, décolleur, à forte tendance poétique et littéraire.

Villeglé est né le 27 mars 1926 à Quimper. Il a la trentaine lorsqu’il affirme ses recherches et expose pour la première fois à Paris, en 1957, galerie Colette Allendy. Depuis, son travail plastique fait l’objet de plus de 200 expositions personnelles en Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique. L’artiste participe à des manifestations collectives sur les cinq continents.

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Fin des années cinquante, un peu partout dans le monde, souffle un vent de remise en question qui va fortement agiter les années suivantes. Il ne s’agit pas de courants d’air mais de profondes bourrasques. Il ne s’agit pas de points de détails mais de contestations radicales. Il ne s’agit pas de petits arrangements entre amis mais de changement général. Un certain nombre de créateurs veulent de nouvelles manières de travailler et de vivre sur la scène artistique. Vie est le maître mot qui vient bousculer les normes en place, valorisées dans le monde de l’art. La part la plus vivante de la peinture prend les chemins de traverse et saute par-dessus les barrières des classifications. Des peintres se détournent de l’atelier, ils refusent de s’enfermer devant leur chevalet, ils mélangent le dedans et le dehors, l’interne et l’externe, ils descendent dans la rue. Tout leur paraît intéressant à capter dans le quotidien de masse qui est en train d’envahir l’espace des villes à peine sorties de la pénurie. Les Américains sont dans le tape-à-l’œil et dans la profusion du Pop Art, les Français ont encore des relents des ruines de la guerre.

V


Pierre Tilman

Plasticien, poète