Littérature

Reprendre conversation – sur Une pluie d’oiseaux de Marielle Macé

Essayiste

Le dernier ouvrage de Marielle Macé, l’essai Une pluie d’oiseaux, s’inscrit si bien dans la collection « Biophilia » qu’il en constitue une défense et illustration. Au banquet des vivants, Marielle Macé convie mille oiseaux divers, mais aussi les poètes, pour puiser en eux des ressources ou des réserves dans leur manière d’accueillir d’autres formes de vie. À l’anthropocène elle s’essaye à trouver non des remèdes mais des issues, des forces d’accompagnement, des solidarités d’écriture pour refaire monde commun, et constituer une expérience en partage avec les oiseaux.

Si la pandémie, en imposant silence aux activités humaines, a pu redonner une chance aux chants d’oiseaux, ce serait pourtant illusoire de penser que nous leur avons pour de bon redonné place, tant la présence des hommes et les activités humaines ont décimé la population aviaire. Se rompt un compagnonnage au long cours, une vie frottée l’un à l’autre.

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Sans doute cette menace sur le vivant, ce silence imposé dans l’espace sonore expliquent l’importance des livres convoquant les oiseaux ou les invitant à venir, pour intensifier notre propre parole ou pour porter témoignage d’un anthropocène, pour l’instant sans remède.

Une pluie d’oiseaux, l’essai littéraire que publie Marielle Macé dans la collection « Biophilia », s’inscrit dans un tel moment : les oiseaux pleuvent, tant ils meurent et tombent, mais ils pleuvent aussi dans les librairies, et sur les pages des poètes. Les oiseaux qui agitent ces pages ne sont pas un thème, mais des compagnons de vie et des rivaux de chant, des locuteurs avec qui les poètes ont rendez-vous.

Sans doute faut-il dire un mot de cette belle collection publiée chez José Corti qui fête ici ses dix ans : cette collection fondée par la poétesse Fabienne Raphoz est devenue en peu de temps un des espaces éditoriaux les plus importants dans les pensées actuelles du vivant. Un espace accueillant tout ensemble des textes traduits qui ont fait date et des créations contemporaines : John Muir, Rachel Carson, Aldo Leopold autant que Pierre Vinclair, Jean-Christophe Cavallin ou aujourd’hui Marielle Macé. C’est un espace résolument à la croisée des disciplines, où les naturalistes entrent en dialogue avec les philosophes, et les biologistes avec les romanciers. Et le livre de Marielle Macé pareillement nourri d’un savoir éthologique, d’une connaissance poétique, d’une ampleur de vue philosophique emblématise à merveille cette écriture au carrefour des langues et des disciplines. Une pluie d’oiseaux constitue même une défense et illustration de la collection, non pas un manifeste, tant le mot est empoissé de résonances polémiques sinon belliqueuses, mais une manifestation exemplaire : « La collection “Biophilia”, dans laquelle vous lisez ce livre, soutient la même chose pour le vivant tout entier : son nom dit, je crois, que l’écologie ne saurait être seulement une affaire d’accroissement des connaissances et des maîtrises, ni même de préservation ou de réparation, mais qu’il doit aussi y entrer quelque chose d’une philia : une amitié pour la vie elle-même, une passion pour la multitude de ses phrasés, un concernement, un souci, un attachement à l’existence des autres formes de vie et un désir de s’y relier vraiment » (p. 94).

Cette philia amène évidemment Marielle Macé à convier mille oiseaux divers, avec leurs notes, leurs stridulations ou leurs envols spécifiques, dans le grand « banquet des vivants » : passereaux, hirondelles, chardonnerets, mais aussi dodos… Elle convie également à ce banquet les poètes pour puiser en eux des ressources ou des réserves dans leur manière d’accueillir d’autres formes de vie : Dominique Meens, Jacques Demarcq, Pierre Vinclair, Leopardi, Victor Hugo, Jean-Claude Pinson, Valère Novarina, Francis Ponge, Jacques Roubaud, mais aussi et surtout Fabienne Raphoz. Le livre dit ce nouage entre l’écrivaine et son éditrice, entre l’essayiste et la poétesse, qui outre le magnifique Parce que l’oiseau n’a cessé de dire par poèmes interposés son ornithophilie.

Reprendre conversation, c’est donc pour l’écrivaine se tourner à nouveau vers les oiseaux, faire entendre à l’intérieur de notre langue la rumeur, même assourdie et indéchiffrable de la leur.

Une pluie d’oiseaux est un essai : le mot ne vient pas marquer une sentinelle de notes ou de références venant étayer la réflexion de l’autrice mais bien une écriture de l’essai, de l’expérience ou de l’expérimentation de langue. Le texte a beau être charpenté en trois temps explorant tour à tour les attachements anciens qui nous liaient aux oiseaux, avec des pages passionnantes en compagnie de Daniel Fabre, puis cadastrant la fragilité actuelle d’un monde abîmé, avant de recomposer un monde commun par l’entremise des poètes, c’est surtout un texte qui va à sauts et à gambades, sollicitant les savoirs venus de tous horizons, constituant une bibliothèque hétérogène, traversant les siècles pour mieux dire notre présent. Marielle Macé s’essaye à trouver non des remèdes mais des issues, des forces d’accompagnement, des solidarités d’écriture pour refaire monde commun, et constituer une expérience en partage avec les oiseaux.

Le livre marque le parcours d’une chercheuse ayant commencé par analyser le genre de l’essai tout au long du XXe siècle dans Le Temps de l’essai, se libérant à mesure des astreintes du discours universitaire, trouvant une voie propre, un cheminement singulier, déjà perceptible dans Nos cabanes ou Sidérer, considérer, mais qui s’affirme ici avec plus de force encore. C’est un essai aussi par cette façon si singulière de s’essayer au contact d’autres formes de vie, de tenter de se décentrer ou de faire d’autres expériences vitales : à proximité des oiseaux se forge un « exercice du métier de vivre ».

L’essai de Marielle Macé se clôt sur une confiance retrouvée en la parole, sur son pouvoir régénéré au contact des poètes et à proximité des oiseaux à reprendre conversation. Elle le précise à plusieurs reprises, le mot de conversation a subi un rétrécissement comme le note Émile Littré : il ne s’agit pas seulement de parler avec, encore moins de parler pour, mais cohabiter, revenir souvent auprès de quelqu’un. Reprendre conversation, c’est donc pour l’écrivaine se tourner à nouveau vers les oiseaux, faire entendre à l’intérieur de notre langue la rumeur, même assourdie et indéchiffrable de la leur. Composer avec eux. Loin de pleurnicher le vivant, l’essai de Marielle Macé en appelle à de nouvelles formes de cohabitation ou de diplomatie avec le vivant, sous le signe des propositions de Baptiste Morizot ou de Vinciane Despret, de Bruno Latour ou de Nastassja Martin : ces solidarités de pensées et de phrasés, elle les élargit en conviant les poètes et leur manière de redonner force au langage, même dans son déraillement.

Ce retournement éthique de l’attention va ainsi de pair avec une confiance renouvelée dans le langage : le livre se termine d’ailleurs sur cet espoir, sinon cette espérance retrouvée dans la parole. C’est une forte espérance, alors même que la parole est de plus en plus mobilisée aujourd’hui comme force de déliaison, outil de défiance, marque de médisance.

Marielle Macé, Une pluie d’oiseaux, Éditions Corti, collection « Biophilia », mai 2022, 384 pages


Laurent Demanze

Essayiste, Professeur de littérature à l'Université de Grenoble

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Anthropocène