Perfectly beautiful day
Pendant des générations, la famille de Jeff Allister a vécu à Chatanooga, dans le sud du Tennessee. On y était cheminot de père en fils, car la ville a longtemps été un nœud ferroviaire important. De père en fils aussi, on avait tendance à s’y appeler Jeff, comme l’éphémère Président de la Confédération, et on y ressassait la Nakba locale : Ulysses Grant faisant sauter le verrou confédéré et ouvrant la voie d’Atlanta à ces porcs de Yankees. Pour se consoler de la catastrophe, on remontait parfois plus loin, jusqu’en 1838. On se remémorait avec une joie mauvaise la Piste des Larmes, qui partait de Chatanooga. Le gouvernement américain avait forcé les Cherokees à dégager vers l’ouest, mais de père en fils les Allister étaient d’avis que ce n’était pas de leur faute si beaucoup de ces sauvages n’étaient jamais arrivés nulle part. Quant aux avis qui se transmettaient de mère en fille, on ne les connaissait pas trop et franchement tout le monde s’en tapait.

C’est en 1989 que le père de Jeff est parti tenter sa chance à Amarillo, Texas. Pantex était devenu le seul site de traitement des déchets nucléaires de l’armée américaine, on y embauchait du monde. Jeff était âgé de huit ans lorsque les Allister se sont installés dans la petite ville, idéalement située sur la célèbre Highway 66, à égale distance d’Oklahoma City et de Tucumcari, Nouveau Mexique. Son père a très vite pris la mesure du caractère stratégique de l’emplacement d’Amarillo. Dès qu’il en a eu l’occasion, il a laissé tomber les déchets nucléaires et racheté un garage à un type en train de mourir à cinquante-cinq ans d’obésité ou d’une cirrhose, on ne savait pas trop, mais tout le monde s’en tapait.
Le garage a été transformé en un atelier spécialisé dans la réparation express des énormes camions qui roulaient entre Chicago et Santa Monica, ouvert 24/7. C’était une affaire qui marchait très bien. Après deux ans seulement, il fallut agrandir, engager plus de mécaniciens, il y avait même des spics et un