Supermarché
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SUJET DÉSAGRÉABLE
— Ah ben ça, c’est vrai, tchê*? Incroyable !
À l’évidence, le téléphone portable auquel s’adressait M. Geraldo n’avait pas été conçu pour des mains aussi énormes que les siennes. Il lui avait fallu rien moins que cinq tentatives pour composer correctement le numéro de son chef, M. Amauri, tellement il avait de difficultés pour appuyer sur une seule de ces touches minuscules à la fois. Et maintenant, enfin en contact avec ledit chef, il semblait incapable de croire que cet appareil lui permettait vraiment de se faire entendre, car il s’appliquait à hurler chaque mot de ce qu’il disait.
– Bon, de toute façon, c’est pas pour entendre parler de ces potins que je t’appelais, expliqua-t-il en pouffant de rire. En fait, je voulais te demander si on pourrait déjeuner ensemble aujourd’hui, pour discuter d’un sujet… euh… d’un sujet désagréable, on va dire.
Tout, de son ton de voix décontracté à la forme indirecte de sa question, tout avait été choisi au préalable avec le plus grand soin par M. Geraldo, qui était allé jusqu’à se répéter la phrase trois ou quatre fois pour se faire une idée de la manière dont elle sonnerait aux oreilles de son chef. Il savait mieux que personne que M. Amauri, en sa qualité de directeur de la chaîne de supermarchés Fênix, croulait sous les sacs de nœuds à démêler et n’avait jamais le temps de rien, raison pour laquelle il n’appréciait pas les invitations inopinées comme celle-là, même quand elles venaient du gérant le plus dévoué et le plus compétent qu’il dirigeait, ce que de fait M. Geraldo était, et même s’il y avait entre eux une grande amitié.
En effet, le directeur montra de l’agacement. Sans détour, il répondit aussitôt :
— Dis donc, Geraldo, quel que soit le problème que tu rencontres là-bas, dans ton magasin, tu as l’autonomie qu’il faut pour essayer de le résoudre seul. Et même tu n’as pas seulement l’autonomie, tu as aussi le devoir d’essayer de le résoudre seul. Après tout, c’est toi le gérant. Oui ou non ?
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