Littérature

Un léger mille-feuilles – sur Le cœur ne cède pas de Grégoire Bouillier

Écrivain

Avec près de mille pages, Le cœur ne cède pas est un gros livre, comme les deux précédents de Grégoire Bouillier qui constituaient Le dossier M. Cette fois, c’est du dossier « Marcelle Pichon » qu’il s’agit : l’auteur enquête sur un fait divers survenu en 1985, qui a vu cette ancienne mannequin des années cinquante se suicider à Paris, en se laissant mourir de faim et en tenant le journal de son agonie… Digressif et violemment addictif, le roman nous entraîne dans le vertige de cette histoire, avec une inventivité et une drôlerie qui rendent étonnamment légère sa profondeur.

On avait découvert Grégoire Bouillier par des livres courts et de petit format, terriblement originaux et très tenus : c’était Rapport sur moi puis L’invité mystère, au début des années 2000, aux éditions Allia, dans le voisinage de Sophie Calle, avec une sorte d’exaltation ironique dans le désir de renouveler – déjà – le non-genre de l’autofiction. On se souvient même d’être allé rencontrer l’auteur chez lui, dans le 15e arrondissement, pour lui présenter un journaliste américain un peu fantasque de la côte Ouest qui désirait s’informer sur les « tendances » les plus intéressantes de la littérature contemporaine en France…

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Enfin, il me semble, car étrangement la mémoire se nimbe ici d’un certain flou : je me souviens comme d’un rêve très lointain de Grégoire Bouillier parlant seul dans une pièce claire à peu près vide, tandis que la lumière de Paris s’affaiblit au fur et à mesure de l’après-midi. Est-ce vraiment dans le 15e arrondissement, d’ailleurs ? Étrange impression, ainsi, d’une rencontre qui est presque devenue fiction… Puis Grégoire Bouillier s’est montré plus discret, avant de faire paraître les deux énormes tomes d’un projet formidable, Le Dossier M, fidèle d’une autre façon au programme annoncé presque crûment par son premier titre : un rapport sur soi.

Qu’en est-il alors de son nouveau livre, Le cœur ne cède pas ? C’est d’abord, et c’est ce qui frappe à nouveau, un très fort volume. Une telle caractéristique ne peut être négligée, car publier un livre de près de mille pages n’est pas anodin, et pourrait sembler un acte de résistance presque anachronique, dans une époque qui privilégie le fragmentaire et l’instantané, la simultanéité et les punchlines. Le titre même, Le cœur ne cède pas, ne paraît-il pas annoncer, plutôt qu’une accélération du beat, quelque chose comme une ancienne saga sentimentale ?

En vérité, passé du statut de séquenceur-sprinter à celui de romancier marathonien, Grégoire Bouillier continue de prendre le présent de vitesse


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

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