Politique

Le blé, la guerre, la production, la gauche et les sciences sociales

Anthropologue

La guerre en Ukraine, grenier à blé de l’Europe, a remis sur la table les questions de production agricole. Comme le reste du vivant, le blé reste considéré avant tout comme une ressource. Le prisme économique n’a cessé d’irriguer la pensée moderne, jusqu’au marxisme et aux sciences sociales. Un changement de paradigme s’impose. Il est possible de remplacer la fiction économique par autre chose et, ce faisant, d’inventer de nouveaux récits.

Mercredi matin, 16 mars 2022. La guerre en Ukraine bat son plein. L’Ukraine est un pays agricole exportateur de céréales avec la plus grande superficie de terres arables d’Europe. Par la voix de la presse, j’apprends qu’à cause de la guerre, les exportations de céréales sont bloquées et que les prix flambent. Les experts craignent des pénuries alimentaires notamment dans certains pays africains très dépendants du blé ukrainien. J’apprends aussi que l’industrie agroalimentaire et le puissant syndicat agricole FNSEA profitent de la situation pour faire un lobby intense auprès des institutions européennes pour démanteler le volet agricole de la politique climatique de la Commission européenne, intitulé « De la ferme à la fourchette ». La FNSEA argumente « qu’il faut produire plus » pour retrouver la « souveraineté alimentaire » et que les règlementations environnementales entravent la « production agricole ».

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Certains chercheurs, experts et militantes écologistes contestent les propos de la FNSEA en rétorquant « qu’il faut produire autrement ». Selon ces opposants, les productions céréalières ne nourrissent pas les humains mais les animaux d’élevage pour la production de viande. Ils affirment que pour changer l’agriculture, il faut manger moins de viande et abandonner l’agriculture industrielle et le productivisme qui détruisent l’environnement. Ces derniers cherchent une « bonne production », c’est-à-dire celle qui protège l’environnement avec moins ou sans pesticides. Mais en s’attribuant la « bonne place », avec des affirmations normatives et souvent surplombantes, ces opposants passent auprès de l’opinion publique pour des donneurs de leçons sur la « bonne manière » de produire et de consommer.

Pendant ces controverses sur les manières de produire et de consommer entre un syndicat de l’industrie agroalimentaire situé à droite sur l’échiquier politique, et ses détracteurs situés à gauche, je retrouve dans l’après-midi Rodolphe, un céréalier qui cultive des


[1] Cette enquête a été financée par la fondation Bruno et Chantal Latour (BLCL).

[2] Sur le sujet, je me permets de renvoyer à mon livre, Dusan Kazic, Quand les plantes n’en font qu’à leur tête. Concevoir un monde sans production ni économie, La Découverte, coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 2022.

[3] Ibid.

Dusan Kazic

Anthropologue, Chercheur associé au laboratoire Pacte de l'Université Grenoble-Alpes

Mots-clés

CapitalismeGauche

Notes

[1] Cette enquête a été financée par la fondation Bruno et Chantal Latour (BLCL).

[2] Sur le sujet, je me permets de renvoyer à mon livre, Dusan Kazic, Quand les plantes n’en font qu’à leur tête. Concevoir un monde sans production ni économie, La Découverte, coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 2022.

[3] Ibid.