Art contemporain

Les morts vivants d’Arthur Jafa – sur l’exposition « Live Evil » à la Fondation Luma

Historienne de l'art contemporain

D’abord directeur de la photographie formé au contact des cinéastes révolutionnaires de Los Angeles des années 80 et nourri du jazz et des voix du gospel, Arthur Jafa a surgi sur la scène internationale de l’art contemporain en 2016 à la faveur de sa vidéo « Love is the Message and the Message is Death ». La Fondation Luma consacre à Arles une importante exposition monographique à cette œuvre habitée par la mémoire de l’esclavage, sa violence et son lien à la mort.

Toute l’œuvre d’Arthur Jafa [1] est habitée par la mémoire de l’esclavage, sa violence et son lien à la mort. La mort, traitée de façon obsessionnelle, est l’un des sujets premiers de sa production artistique. C’est par sa vidéo Love is the Message and the Message is Death réalisée en 2016 qu’il est devenu célèbre en tant qu’artiste visuel exposant dans les hauts lieux de l’art contemporain international alors qu’il l’était jusque-là en tant que talentueux directeur de la photographie et réalisateur de films, travaillant en collaboration avec de nombreux·se·s cinéastes, artistes, théoricien·ne·s et critiques engagé·e·s comme lui dans des formes d’expression et de revendications politiques enrichissant la culture noire.

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Il se forme au contact des cinéastes révolutionnaires de Los Angeles tel Hailé Gerima et réalise son premier film expérimental en 1982, Considerations, tourné en super 8. Pour Jafa, qui conçoit le travail des images en s’inspirant du jazz et des voix du gospel, l’esthétique noire est une « intonation visuelle ». Celle-ci surgit de façon majestueuse dans sa collaboration avec Julie Dash sur le sublime Daughters of the Dust qu’elle réalise en 1991. Jafa a travaillé avec John Akomfrah et le Black Audio Collective sur Seven Songs for Malcolm X en 1993 ainsi qu’avec Spike Lee en 1994 sur son film Crooklyn. Il participe au tournage d’Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick en 1999 et de Selma d’Ava DuVernay en 2014.En 2013, il réalise son documentaire Dreams Are Colder than Death qui commence avec le fameux discours de Martin Luther King. La mort rode encore.

Pour Arthur Jafa, les Noir·e·s sont des survivant.es. Selon lui, comme il le décrit lors du colloque « Black Popular Culture » organisé à New York en 1991, le Passage du milieu est à l’origine de la culture noire. Celle-ci s’est développée à partir des formes d’expression qui ont été transportées par les Africain.es mis.es en esclavage. Jafa évoque « les prouesses oratoires, la danse, la musique ».


[1] Pour voir des images d’Arthur Jafa, ici le catalogue publié au Danemark.

[2] Sarah Juliet Lauro, The Transatlantic Zombie, Slavery, Rebellion and Living Dead, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 2015.

[3] Laura U. Marks, The Skin of the Film, Intercultural Cinema, Embodiment, and the Senses, Durham, NC, Duke University Press, 2000.

[4] Arthur Jafa, My Black Death, Hudson, NY, Publication Studio Hudson, 2015.

[5] R. E. B. Scott, « MILES DAVIS: LIVE/EVIL », The Black Scholar, vol. 3, n° 10, « Black Music », summer 1972, p. 57-58.

[6] Angela Davis, Les goulags de la démocratie, Vauvert, Au diable Vauvert, 2018 [première publication en anglais 2005].

[7] Voir pour une analyse de la controverse : Claire Moulène, « Polémique à la Biennale de Berlin autour des images de torture d’Abou Ghraib », Libération, 19 août 2022, Ludovic Lamant et Thomas Schnee, « Biennale de Berlin : défiance et débats autour de clichés d’Abou Ghraib », Médiapart, 22 août 2022, Jordane de Faÿ et Magali Lesauvage, « Berlin, la Biennale empoisonnée », Quotidien de l’art, 6 septembre 2022.

[8] Dork Zabunyan, Insistance des luttes, Cherbourg, De l’incidence éditeur, 2016

Elvan Zabunyan

Historienne de l'art contemporain, Professeure à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et critique d’art

Notes

[1] Pour voir des images d’Arthur Jafa, ici le catalogue publié au Danemark.

[2] Sarah Juliet Lauro, The Transatlantic Zombie, Slavery, Rebellion and Living Dead, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 2015.

[3] Laura U. Marks, The Skin of the Film, Intercultural Cinema, Embodiment, and the Senses, Durham, NC, Duke University Press, 2000.

[4] Arthur Jafa, My Black Death, Hudson, NY, Publication Studio Hudson, 2015.

[5] R. E. B. Scott, « MILES DAVIS: LIVE/EVIL », The Black Scholar, vol. 3, n° 10, « Black Music », summer 1972, p. 57-58.

[6] Angela Davis, Les goulags de la démocratie, Vauvert, Au diable Vauvert, 2018 [première publication en anglais 2005].

[7] Voir pour une analyse de la controverse : Claire Moulène, « Polémique à la Biennale de Berlin autour des images de torture d’Abou Ghraib », Libération, 19 août 2022, Ludovic Lamant et Thomas Schnee, « Biennale de Berlin : défiance et débats autour de clichés d’Abou Ghraib », Médiapart, 22 août 2022, Jordane de Faÿ et Magali Lesauvage, « Berlin, la Biennale empoisonnée », Quotidien de l’art, 6 septembre 2022.

[8] Dork Zabunyan, Insistance des luttes, Cherbourg, De l’incidence éditeur, 2016