De l’homme dans les rouages – sur Dernier travail de Thierry Beinstingel

Au début, Thierry Beinstingel pose les personnages et le décor. Le lecteur s’emmêle un peu les pinceaux entre « Fufu », Vincent, Bernard, Francis et les autres. Certaines scènes se passent dans un bois, d’autres dans le bureau d’une entreprise, d’autres encore dans une maison où vivent une mère et sa fille âgée d’une vingtaine d’années. L’homme de la maison, Bernard, s’est suicidé il y a douze ans sur son lieu de travail. Il était ingénieur méthodes. Que s’est-il passé ? Identifier qui est qui, et qui fait quoi nécessite quelques pages. C’est normal et c’est bien ainsi : Dernier travail commence par être confus, de la même manière qu’est embrouillé l’esprit du personnage principal, Vincent, DRH dans la grande entreprise qui employait Bernard.
Vincent avait beau être salarié de cette « boîte » du CAC 40 au moment du suicide, il était, alors, bizarrement absent au drame, un peu ailleurs, enfermé dans la langue et le monde des DRH. Le texte dénoue des fils au fur et à mesure qu’il progresse. Il dissipe la brume. Dans trois mois, lorsque Vincent sera à la retraite, il aura une certaine idée de l’entreprise qu’il quitte ; il aura compris et admis, à regret, « la course du monde et son infatigable travail. » Dernier travail est un roman excellent et plutôt pessimiste que la bonté des uns et des autres empêche d’être désespérant.
Vincent prépare son départ lorsqu’un ancien collègue lui demande un ultime service : accepterait-il d’aider Eve, la fille de Bernard, à être embauchée dans une boutique de téléphonie appartenant à l’entreprise où Bernard s’est donné la mort ? Eve a toutes les compétences demandées, mais si Vincent pouvait mettre le dossier de la jeune femme sur le haut de la pile, ce serait merveilleux. Eve et sa mère ont besoin de bonnes nouvelles, la vie ne les a pas ménagées. Vincent est d’accord, et prévient ceux chargés de recruter Eve. Il fait les choses délicatement, sans autoritarisme, sans jouir ni abuser de son pouvoir ; ce n’est pas du tout so