« Persister quand tout contredit votre existence » – à propos de Capitaine Vertu de Lucie Taïeb
Dès le titre, ça sent la piraterie contrariée. Combien de marins, combien de capitaines pour toujours évanouis dans la nuit océanique de Victor Hugo. À ce flot anonyme on pourrait adjoindre l’autrefois fameux Capitaine Fracasse de Théophile Gautier. Et dans d’autres registres, pour d’autres générations, la capitaine Marleau de la télévision, le capitaine Caverne du dessin animé ; elle et eux, les fantômes, les cartoons et les acteurs, tiennent dans ce titre si bref, ce patronyme apposé sur une couverture où la justice aveugle s’étale, comme sur une carte de tarot récemment tirée.

Mais à sa suite, le beau, le terrifiant mot de « vertu », celui des trancheurs de têtes, des dames patronnesses et des buveurs d’absolu. Titre qui dit qu’on peut ne rien s’interdire symboliquement, en convoquant la culture savante et populaire, le passé et le présent, parce que, à la fin, tout implosera dans la faculté morale la plus impitoyable, ou la plus dénuée d’affect. Tout s’y annulera. Ou encore, tout sera dissous. La carte de tarot prophétise alors à la fois l’ouverture de l’avenir et la condamnation du destin. Cela, dès la couverture, on le pressent ; et le livre nous embarque dans une machinerie infernale qui nous le confirme.
Capitaine Vertu, de Lucie Taïeb, s’attache en effet à suivre à la lettre un personnage vaste et consumé tout ensemble. Ouvert sur l’imaginaire, et fermé sur la droiture. « À la lettre » c’est-à-dire, en exécutant le programme que son nom impose : la conjugaison impossible de l’aventure, de la péripétie et de la société (« capitaine »), avec le repli, l’effacement et la réticence qu’impose la plus haute et la plus froide des qualités morales (« Vertu »). Le livre décline cette tension première en des couples d’opposition emboîtés : le collectif contre l’individu, le politique contre la conviction, les hommes contre la femme, le récit familial contre la vérité intime. Et, histoire que la fête soit complète : le mal, contre le bien. Tout cela en prome