Jerzy Skolimowski : « Je suis vraiment fatigué des films avec des narrations linéaires »
Retrouver Jerzy Skolimowski toujours vaillant en 2022 est décidément l’une des meilleures nouvelles de l’année. Le cinéaste a beau être fatalement, à 84 ans, l’un des ultimes rescapés de la nébuleuse des « nouveaux cinémas » des années 60 (avec Straub, Herzog et Bellocchio), il se fait encore un devoir de continuer à surprendre et, partant, de rester fidèle à l’idée qui a guidé ses plus grandes réussites : l’art du contrepied.
Alors qu’EO vient rajouter un inattendu dernier chapitre animalier à une filmographie composite, cette odyssée d’un âne dans une Europe gangrénée par le chaos et la bêtise est ouverte à une multitude de lectures. Le film reprend le point de départ d’Au hasard Balthazar de Bresson, mais peut tout aussi bien dialoguer avec La Nuit du chasseur de Laughton (le bestiaire forestier à la lisière du fantastique) ou Adieu au langage de Godard (emprunter le point de vue animal dans une nature triturée en pure matière plastique).

On peut y voir un film-trip cosmique comme un film-tract vegan. Sachant qu’en latin, « Eo » signifie « Je vais », peut-on même voir chez cet « âne qui va » un cousin quadrupède de L’homme qui marche de Giacometti ? Et le film comme métaphore de l’entêtement à avancer, tout en esquivant les écueils d’un monde au bord du gouffre ? Autant d’extrapolations possibles – mais jamais imposées – qui font cependant écho à deux traits primordiaux du cinéma de Skolimowski : la quête perpétuelle de nouveaux élans, et l’art de dépasser les frontières.
Les nouveaux élans, c’est ce qu’a trouvé, dès ses débuts, ce cinéaste garnement et boxeur, donc déjà rompu à l’art de l’esquive. Ses premiers films autoproduits, Signe particulier : néant (1964) et Walkover (1965), étaient tournés sur des chutes de pellicules. Dans ce métrage imposé, il trouvait de quoi composer de stupéfiants plans-séquences chorégraphiés à plusieurs vitesses comme, par exemple, cette virtuose course éperdue, entre train et moto.
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