La ville où je suis née
L’hôpital où je suis née a été rasé quelques mois après ma naissance. J’imagine le bâtiment en suspension, avec ses vieux murs à l’amiante, ma mère accrochée aux bras des sages-femmes, atterrir là, à Tarbes, juste pour m’y poser, avant d’être détruit. Une bardée d’enfants livrés au petit matin du 19 février de la dernière année des années 70, avec ces coordonnées : latitude 43,232951, longitude 0,078082. Tarbes, Gascogne, Occitanie, département des Hautes-Pyrénées. C’est là que je suis tombée. J’avais le crâne bien rond, il paraît.
Difficile de retrouver mes premières sensations de la ville, la statue de Danton et son doigt qui menace ? Le petit train du Jardin Massey ? Je sais juste que mon frère et mes sœurs n’ont qu’une envie : se barrer. Mon père passe le plus clair de son temps en Afrique, mais Tarbes est la ville où j’apprends à marcher. Période Tarbes communiste, Raymond Erraçaret – trois mandats, s’il vous plaît –, décomposition du tissu ouvrier, gloire encore vivace du Stadoceste Tarbais. Je vis avec ma mère avenue Aristide-Bergès. Elle a trouvé ce boulot à domicile où on ne lui fait pas de remarques sur son accent espagnol : elle fait des « pochettes », toute la journée, elle trie et emballe des bandes autocollantes sérigraphiées destinées à décorer les larges rubans des bouquets mortuaires ou de mariage, c’est selon. « À MON PÈRE », « À MON ONCLE », « À MA NIÈCE ». C’est doré, en capitales, sans doute un peu toxique, ça sent l’uréthane et l’acrylique, mais à la maison moins qu’à l’usine. On est seules, et bien tranquilles avec la radio, des cassettes de Massiel et de Paco Ibañez. Je veux faire des chansons. Quand il fait vraiment chaud, ma mère bronze toute nue sur la terrasse. Elle est tellement jolie au volant de sa Simca 1000 blanche dont les sièges nous crament le cul dès qu’il fait plus de 25 degrés. Je vais à pied à l’école Hélène-Boucher, pas par le même chemin que Linda qui vient de la cité. Collège Victor-Hugo, premier baiser, de qui ? J’ai oubli