Gauche

PS : OK ou PASOK ?

Politiste

Quatre candidats se disputent depuis quelques jours le poste de premier secrétaire du Parti socialiste. Mais au-delà du choix d’une personnalité, c’est la capacité à retrouver une ligne politique claire, et surtout une légitimité qui dépasse sa base militante désormais étique, qui éviteront éventuellement au PS de sombrer, comme avant lui le parti socialiste grec.

« Est-ce le chant du cygne pour le PS ? » se demande Capital commentant les 2,6 % obtenus par le candidat socialiste lors la législative partielle de dimanche dernier dans le Territoire de Belfort. « Une campagne entre apparatchiks, un score de 2 % à Belfort, un ex-ministre qui déplore le “merdisme” qui règne au PS… Difficile de faire pire ! », renchérit de son côté Le Point. Il n’est pas un jour depuis la déroute des socialistes aux élections de 2017, sans que la presse annonce « la mort » du PS. Mais parce qu’ils sont des institutions, les partis ne sont pas soumis aux lois de la biologie. La vraie question n’est donc pas de savoir si le PS va mourir, mais si ses membres et en particulier ses dirigeants seront en mesure de récupérer plus ou moins vite tout ou partie des ressources qu’ils ont perdues et qui faisaient jusqu’alors la force de ce parti : sa position hégémonique à gauche, sa capacité à rassembler des courants divers, son tissu militant et ses bastions locaux.

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Sous cet angle, l’avenir à court terme est préoccupant. Portée par un leader auréolé de son score à la présidentielle et incontesté, La France Insoumise compte beaucoup moins d’élus que le PS mais le devance pour l’instant électoralement (11,03 % contre 7,11 % aux législatives de juin) et récuse toute perspective d’alliance. Cette stratégie peut avoir des effets redoutables lors des prochaines élections locales, d’autant que les écologistes semblent eux aussi durablement affaiblis. Le départ d’une partie de l’aile gauche du PS vers le mouvement de Benoît Hamon, Génération.s, et d’une partie de son aile droite vers La République En Marche ! (LREM), affaiblit tout autant la capacité de rassemblement du PS. Le soutien au parti présidentiel d’une fraction de son électorat habituel crée en outre les conditions pour que les stratégies de fuite d’élus socialistes se poursuivent à l’instar de celle d’Olivier Dussopt, entré au gouvernement en novembre dernier. Pour sauver leurs sièges de député européen, de maire ou de conseiller départemental ou régional, on ne peut exclure que certains élus locaux soient tentés, sinon de rejoindre LREM, du moins de s’en rapprocher dans les années qui viennent, surtout s’ils se sentent menacés par des candidats de La France Insoumise. Cela explique pourquoi beaucoup d’élus locaux semblent aujourd’hui en position d’attente comme en témoigne leur réticence à prendre position dans la préparation du congrès.

Le flottement du parti s’explique aussi par la division des hiérarques socialistes sur l’attitude à adopter vis-à-vis du nouveau pouvoir.

On mesure du coup tout l’enjeu du congrès à venir. À première vue, là aussi, les choses semblent mal engagées. Les socialistes donnent l’impression d’être tétanisés par leur débâcle lors de la dernière séquence électorale et recroquevillés sur leurs affaires internes. Il est vrai que depuis le mois de juin 2017, priorité a été donnée à la gestion des conséquences matérielles de la défaite : le montant de la dotation publique étant calculée sur la base des résultats aux élections législatives, le budget du PS sera amputé à partir de 2018 de près de 20 millions d’euros par an, auxquels s’ajoutent la perte des cotisations d’élus déjà en régression depuis les défaites aux élections locales de 2014 et 2015. La vente du siège de la rue de Solferino pour 45,5 millions d’euros, mais aussi de plusieurs bâtiments appartenant aux fédérations, l’organisation du départ d’une soixantaine de permanents, auquel s’ajoute le licenciement de plusieurs centaines de collaborateurs parlementaires ont constitué autant de priorités à traiter dans l’urgence.

Mais le flottement du parti s’explique aussi par la division des hiérarques socialistes quant à la stratégie à adopter vis-à-vis du nouveau pouvoir. L’attitude du président du groupe socialiste au Sénat, Didier Guillaume, qui vient d’annoncer son retrait de la vie politique, est emblématique : « Il faut qu’Emmanuel Macron réussisse », déclarait-il en septembre ; deux mois plus tard, il félicitait Olivier Dussopt après sa nomination comme secrétaire d’État à la Fonction publique. Olivier Faure, son homologue de l’Assemblée nationale avait utilisé la même formule au lendemain du second tour de la présidentielle, allant jusqu’à souhaiter que le PS participe à la majorité. Rappelons qu’en juin, lors du vote de confiance au gouvernement d’Édouard Philippe, 23 députés socialistes sur 31 se sont abstenus.

La fin de non-recevoir du président de la République et l’orientation droitière de sa politique économique comme de sa politique scolaire ou de sa politique migratoire ont, depuis, poussé les dirigeants du PS à s’affirmer dans l’opposition. Il n’est pourtant pas sûr que cette position sera constante. De nombreux soutiens d’Emmanuel Macron proviennent du milieu socialiste, en particulier de son aile strauss-kahnienne. Les dirigeants du think tank Terra Nova mais aussi ceux de la Fondation Jean-Jaurès continuent par exemple d’entretenir des liens réguliers avec l’entourage immédiat du président de la République dont beaucoup de membres ont fourbi leurs armes au sein des cabinets ministériels du quinquennat précédent. Les ponts sont donc loin d’être coupés et l’on ne peut exclure une réorientation vers la gauche de la stratégie présidentielle dans les années qui viennent, favorisée par des marges budgétaires plus importantes que prévues. Localement, la stratégie des socialistes n’est guère plus claire. Les élus qui ont apporté leur soutien à Emmanuel Macron n’ont pas fait l’objet d’une procédure systématique d’exclusion. Jusqu’à aujourd’hui, par exemple, Jean-Yves Le Drian a été épargné et continue d’appartenir au PS et de peser sur le PS breton via ses nombreux obligés.

Les candidats en lice peuvent apparaître « neufs », ils n’en ont pas moins un profil très homogène qui ne prédispose pas a priori à la rupture avec les discours et pratiques passés.

Le profil des prétendants à la direction du parti peut lui aussi laisser sceptique. Le caractère bénévole de la fonction de premier secrétaire en limitait de toute façon le vivier. Seuls les titulaires d’un mandat parlementaire pouvaient raisonnablement envisager de concourir, ce qui est bien le cas des quatre prétendants, mais aussi de Delphine Batho dont la candidature a été rejetée faute d’avoir reçu les parrainages nécessaires de 5% des membres du Conseil national. Si, en dehors de Stéphane Le Foll, les candidats en lice peuvent apparaître comme « neufs » ou « peu connus » pour ne pas avoir joué un rôle de premier plan au cours du quinquennat écoulé, ils n’en ont pas moins un profil très homogène qui ne prédispose pas a priori à la rupture avec les discours et pratiques passés et à l’innovation politique.

Stéphane Le Foll (58 ans), Olivier Faure (49 ans) et Emmanuel Maurel (44 ans) ont commencé très tôt leur carrière politique, au début des années 1990, comme permanents nationaux du PS. Ils sont de purs professionnels de la politique. Leur accès à un mandat électif procède de leur investissement dans les instances nationales. Stéphane Le Foll et Olivier Faure ont ainsi dirigé en binôme le cabinet de François Hollande de 1997 à 2008 lorsqu’il était premier secrétaire du PS. Emmanuel Maurel a travaillé successivement pour Jean Poperen et Alain Vidalies. Luc Carvounas (46 ans) a lui un parcours inversé : sa carrière politique commence à Alfortville, un fief historique du PS. Collaborateur d’élu et militant au sein d’une des plus grosses sections de la fédération du Val-de-Marne à 25 ans, il gravit les échelons du parti (secrétaire de section, premier fédéral) et suit les étapes du cursus honorum de l’élu de terrain (adjoint au maire, conseiller général, maire, sénateur puis député depuis 2017…). Fort de ses positions, il s’engage aux côtés de Manuel Valls dont il dirige la campagne lors des primaires de 2011.

Les quatre prétendants à la direction du parti ont appris le métier politique à l’ombre d’un mentor (François Hollande pour les deux premiers, Jean Poperen pour le troisième, Manuel Valls pour Luc Carvounas). Hommes d’appareil, ils sont rompus à la tactique et aux manœuvres nécessaires pour gagner un congrès ; élus, ils ont développé une expertise indéniable. Hormis Emmanuel Maurel, qui manifeste un goût prononcé pour le travail intellectuel et la production idéologique, ils s’apparentent toutefois plus à des techniciens qu’à des visionnaires et l’on est fondé à se demander s’ils ont les qualités ajustées à la situation inédite que connaît le PS. Comment engager un vrai travail critique sur l’échec du quinquennat précédent quand on a soi-même été partie prenante aux politiques qui ont été menées ? Comment envisager de rompre avec des pratiques d’appareil et des routines organisationnelles qui vous ont fait roi ?

Le prochain secrétaire général ne pourra imposer une ligne claire qu’à condition de la légitimer auprès d’un corps électoral bien plus large que celui du PS actuel.

L’histoire montre que les logiques de situation peuvent conduire certains acteurs qui n’y étaient pas prédisposés à adopter des stratégies de rupture. Les textes des motions d’Olivier Faure et de Luc Carvounas, qui a déjà opéré une étonnante volte-face en s’affichant comme le plus favorable à une nouvelle union de la gauche, attestent par exemple d’une prise de conscience de l’importance du travail à effectuer et d’une volonté d’ouvrir le parti, dont il n’y a pas de raison de douter de la sincérité. Mais en l’espèce, beaucoup dépendra de la légitimité du futur premier secrétaire et de sa capacité à s’émanciper des compromis d’appareil. Or, les règles qui régissent le fonctionnement du PS, qui combinent représentation proportionnelle des courants et élection directe du premier secrétaire et des premiers secrétaires fédéraux au scrutin majoritaire, ne favorisent pas l’émergence d’un leadership fort. C’est là pourtant une condition nécessaire sinon suffisante d’un changement en profondeur.

On se souvient que les travaillistes britanniques, après leur défaite électorale de 2015, ont réagi en organisant des primaires ouvertes pour élire leur nouveau leader. On s’est beaucoup gaussé à l’époque de l’élection d’un vieux député de l’aile gauche du parti, qui le condamnerait à rester dans l’opposition. Jeremy Corbyn a ainsi dû faire face à une véritable fronde du groupe parlementaire. Sa reconduction à la suite d’un nouveau vote en 2016 a ramené ses opposants dans le rang. Dans les sondages le Labour fait désormais jeu égal avec les conservateurs ; il a connu un afflux d’adhérents sans précédent et a renoué avec les syndicats. Compte tenu de l’extrême rétraction du corps militant socialiste (sans doute autour de 40 000 adhérents) et de sa faible diversité sociologique, compte tenu de la faiblesse des liens entre le PS et le monde associatif et syndical et le monde intellectuel, il est permis de penser que quel que soit le leader qui sera élu lors du prochain congrès, il ne pourra imposer une ligne claire et refonder le parti qu’à condition de la légitimer auprès d’un corps électoral bien plus large que celui du PS actuel.


Frédéric Sawicki

Politiste, professeur de science politique à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP-CNRS)

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