Falcon Heavy, plus qu’une curiosité spatiale
Dans l’industrie spatiale, l’échec d’un lancement n’est pas une option et lorsqu’il survient, c’est spectaculaire et lourd de conséquences techniques, commerciales et politiques. Y compris à l’occasion, délicate, des premiers tests. C’est pourquoi l’annonce du vol inaugural de Falcon Heavy, « lanceur le plus puissant du monde » – sur le papier, jusqu’alors – conçu par SpaceX (Space Exploration Technologies), a tant retenu l’attention au sein de la communauté spatiale et bien au-delà. Après des retards dans le développement du programme, présenté pour la première fois en avril 2011 par le fondateur, CEO et CTO de la compagnie californienne Elon Musk, une fenêtre de lancement s’est finalement ouverte le 6 février 2018 à Cap Canaveral. La communication de SpaceX, la presse accréditée et plus encore les médias mainstream ont alors déroulé sans peine un grand récit : c’est sur le pas de tir 39A du Centre spatial Kennedy, utilisé il y a cinquante ans par la Nasa pour envoyer ses astronautes vers la Lune à l’« âge d’or » du programme Apollo et post-Apollo via les navettes spatiales, que Falcon Heavy devait donc décoller. De Saturn V à Falcon Heavy, de Wernher von Braun à Elon Musk – héros de l’Amérique venus d’ailleurs et convertis à l’American Dream –, de 1969 à 2018, une même trame serait à l’œuvre, grandiose : celle de l’exceptionnel génie et de la puissance de l’Amérique résumés dans les spécifications monstrueuses du lanceur (entre autres : 70 mètres de hauteur, une masse de 1420 tonnes au décollage, trois premiers étages réutilisables dotés de 27 moteurs Merlin 1D+ qui assurent une poussée de 2128 tonnes pour l’emport de 63 tonnes de charges en orbite basse et 26 en orbite géostationnaire, etc.), lié à l’esprit d’entreprise hype de la Silicon Valley, dans l’un des temples historiques de la « conquête de l’espace », le tout canalisé par la sublime perspective d’un voyage vers Mars dans un futur proche. La Nasa en rêve mais n’a cessé de repousser l’échéance depuis le début des années 1970 faute de soutien politique (1) ? SpaceX le ferait.
Tout s’est déroulé presque comme prévu, après la campagne de tests et de vérifications. 6 février 2018, à 15h45 heure locale, la mise à feu est déclenchée, l’explosion assourdissante. En voix off nasillarde de la retransmission en direct, l’ingénieur en chef de SpaceX et colonel en retraite de l’US Air Force John Insprucker y met les formes, sous les applaudissements et les cris de joie très sonores des employés réunis dans l’usine SpaceX de Hawthorne, dans la banlieue de Los Angeles. Des dizaines de milliers de personnes assistent au spectacle à distance du pas de tir en Floride, en plus des millions de curieux connectés sur la chaîne YouTube de SpaceX et des chaînes d’information en continu. Les premières secondes puis les premières minutes rassurent les responsables de vol : les paramètres sont « nominaux », le plan est respecté. Les deux propulseurs d’appoint latéraux se séparent à T+00:02:33 et, après une réentrée atmosphérique contrôlée, se posent presque simultanément à T+00:07:58 sur une zone d’atterrissage à Cap Canaveral. La scène est saisissante et ferait presque oublier que, dans les secondes qui suivent, le signal du premier étage central se perd et celui-ci finit par s’abîmer au large des côtes de la Floride, à 100 mètres de la barge « Of Course I Still Love You » sur laquelle il devait se poser. Le second étage prend le relais et s’allume à T+00:03:15. Quarante-cinq secondes plus tard, la charge fictive et pas tout à fait « utile » est révélée et décoiffe : un coupé rouge cerise décapotable Tesla, avec à son bord un improbable mannequin « Starman » vêtu d’une combinaison spatiale made in SpaceX, s’élance alors à 10 000 km/h dans l’espace sur l’air hypnotique de « Life on Mars ? » de David Bowie, la Terre d’un bleu abstrait en arrière-plan. Passé l’euphorie, on apprendra en revanche que l’ultime manœuvre – mal dosée – du deuxième étage après six heures de vol n’a pas donné les résultats escomptés : non seulement la Tesla suivrait une orbite héliocentrique qui la dévie du trajet prévu qui l’aurait amenée en théorie à croiser l’orbite de Mars, mais elle n’atteindra sans doute pas la ceinture d’astéroïdes, comme l’a annoncé précipitamment SpaceX. Peu importe, à la rigueur : le lanceur lourd a démontré qu’il peut emporter de volumineuses charges utiles vers l’orbite géostationnaire et ainsi honorer des contrats rémunérateurs, à commencer par ceux de l’US Air Force et du National Reconnaissance Office (2).
Pour les observateurs les plus perspicaces de l’histoire de l’astronautique, nous serions entrés dans une phase propice à la mélancolie de la grandeur perdue de la conquête spatiale.
Comme cet événementiel tranche avec la petite mécanique bien huilée des lancements, généralement confidentiels, dans l’indifférence du « grand public ». Tout a été imaginé pour faire événement et imprimer sur les rétines l’évidence que ce succès marque un tournant inouï dans l’histoire de l’astronautique. Cela demande un certain savoir-faire dans l’art de la démonstration, c’est-à-dire de la « démo » comme format communicationnel privilégié de la high-tech. Ce dont SpaceX a toujours su faire montre, jusque dans la valorisation des échecs dans des clips décalés. Cette autodérision d’ingénieur s’ajuste à l’attitude décontractée et cool, le port de tee-shirts à la place des uniformes siglés d’agences spatiales et des costumes sombres des bureaucrates de Washington. Elle s’incarne, surtout, dans la personne du milliardaire et serial entrepreneur Musk, patron de SpaceX, de Tesla, de Solar City et quelques autres startups en vue. Tandis que Starman poursuit son aventure solitaire dans le vide intersidéral, « Elon » donne sa première conférence de presse, le sourire aux lèvres. L’audience médiatique est manifestement conquise, les questions des reporters laissent transparaître l’admiration. Perçu non sans condescendance par les « éléphants » de l’industrie aérospatiale étasunienne (i.e. Boeing et Lockheed Martin), Musk est parvenu à matérialiser (enfin) une promesse. Il est parvenu à réaliser une « démo » mais la joue modeste, car ce n’est qu’une étape du plan ultime : établir l’espèce humaine sur Mars. Il est d’autant plus écouté que, malgré les dépenses significatives de la Nasa dans l’éducation populaire autour de l’astronautique ou, de l’autre côté de l’Atlantique, l’engouement soudain mais friable pour la mission Proxima de Thomas Pesquet, l’exploration de l’espace par les programmes gouvernementaux et la coopération inter-agences ne fait plus rêver comme au temps révolu de la « course à l’espace ». L’accent mis sur la routine des opérations, l’habituation à la présence de la Station spatiale internationale (ISS) à portée de télescope amateur, l’extension des marchés des applications satellites : tout cela a contribué à banaliser le spatial, à le rendre ennuyeux aussi, loin des « premières » épiques des années 1950 et 1960. À tel point que, pour les observateurs les plus perspicaces de l’histoire de l’astronautique, nous serions entrés dans une phase propice à la mélancolie de la grandeur perdue de la « conquête » (3).
L’enthousiasme viral autour du lancement de Falcon Heavy change-t-il la donne ? Pour trancher, encore faut-il évaluer ces ambitions hors normes sur pièces et à tête reposée. Or de ce point de vue, il paraît incontestable que le lancement réussi de Falcon Heavy est un exploit technique de premier ordre, qui fera date. Il en aura coûté en développements antérieurs, notamment celui de Falcon 9. Après sa création en 2002, les ingénieurs de SpaceX – recrutés parmi la Nasa, l’industrie spatiale ou l’armée – sont partis presque de zéro pour développer la famille de lanceurs « maison », le moteur Merlin ou le vaisseau Dragon conçu pour desservir l’ISS. À la complexité bureaucratique du management de missions de la Nasa et à la division du travail entre une multitude de sous-traitants caporalisés par un donneur d’ordre fédéral sûr de son autorité technico-scientifique et politique, SpaceX a substitué une internalisation du design et de la fabrication sur les pièces essentielles (les moteurs, en particulier), à des coûts de Recherche et développement (R&D) qui défient la concurrence.
Ce succès revêt une importance symbolique pour une compagnie valorisée à 21 milliards de dollars en 2017, dont seul l’espace est semble-t-il la limite.
« Faster, better, cheaper » : ce slogan brandi et pour partie mis en œuvre par la direction de la Nasa au cours des années 1990 – parce que le financement des giga-programmes de Guerre froide du type de la navette spatiale ou de l’ISS est alors devenu politiquement et financièrement insoutenable – s’est banalisé et inspire les entrepreneurs habitués à « contracter » avec la Nasa. SpaceX promeut de la technologie fiable et simplifiée, une production en flux tendu sur les chaînes de son usine, une rapidité d’exécution pour accompagner une demande désormais acquise. En plus de la fortune personnelle du fondateur, le développement de SpaceX s’est réalisé par l’obtention d’aide publique. Les contrats passés en 2008 dans le cadre du programme Commercial Orbital Transportation Services (COTS) de la Nasa, lequel visait à accélérer la commercialisation du vol spatial à l’approche de l’abandon du programme de la navette, ont permis de financer la R&D autour de Falcon 9 et du vaisseau Dragon.
Mais la conquête de cette manne n’a pas été sans contrepartie : les clauses des contrats passés avec la Nasa étaient extrêmement contraignantes, l’agence est exigeante dans la livraison de services et de résultats, si bien que les contractants avaient intérêt à y réfléchir à deux fois avant de soumettre leurs projets. De plus, tout n’a pas été linéaire ni « nominal ». Ainsi, l’échec du dix-neuvième vol de Falcon 9 en route vers l’ISS avec 5 tonnes de fret chargées dans le vaisseau Dragon en juin 2015 a cloué le lanceur au sol pendant six mois. D’autres désagréments, retards et incertitudes ont émaillé l’histoire très récente de la compagnie. Jusqu’au lancement réussi de Falcon Heavy, qui suit une vingtaine de vols Falcon 9 sans encombre et de nombreuses récupérations de premiers étages. C’est la raison pour laquelle ce succès revêt une telle importance symbolique pour une compagnie valorisée à 21 milliards de dollars en 2017, dont seul l’espace est semble-t-il la limite. Et qui se démultiplie dans des projets toujours plus « disruptifs » : escapades lunaires, constellation de plus de 4400 satellites pour assurer une connexion globale à Internet (en théorie, source d’énormes profits dans les années 2020), exploration puis exploitation de Mars.
Passé le lancement de Falcon Heavy, les réactions « à chaud » parmi les insiders et les passionnés de l’exploration spatiale ont varié entre l’admiration béate, l’incrédulité, le scepticisme vaguement blasé ou l’indignation (quoi ? un milliardaire cynique, égomaniaque et tyrannique crame 150 millions de dollars pour envoyer un débris dérisoirement flashy dépérir dans l’espace ?). Chacun a projeté ses attentes, ses désirs, ses inquiétudes aussi, si bien que l’analyse à distance n’est pas aisée car suspecte de parti pris, y compris dans la simple restitution des faits de première et seconde mains. Mais ces faits sont têtus : aux États-Unis, le succès de SpaceX met à nu la compétition, implicite et latente, que théâtralisent les observateurs entre d’un côté les compagnies et les startups du « NewSpace » et, de l’autre, les organisations du secteur spatial né dans les années 1950, au cœur du « complexe militaro-industriel ». En ce sens, l’avènement du NewSpace au tournant du XXIe siècle n’est pas anecdotique, car il bouleverse l’économie-politique statocentrée des activités spatiales. L’entrée en scène des milliardaires (Musk, Jeff Bezos, Richard Branson) et d’inclassables mastodontes (Google (4), Facebook) de la Silicon Valley, en plus de la perfusion d’investissements issus du capital-risque, de plus en plus significative depuis les années 2010, promettraient une redistribution des cartes. De même que la « démocratisation » de l’accès à l’espace, par la chute des coûts de lancement ainsi que la miniaturisation des capacités satellitaires via la diffusion du standard « CubeSat » depuis le début des années 2000 (qui transforme le commerce de l’observation spatiale de la Terre et, bientôt, des télécommunications par satellite, par des projets de constellations), couplée à l’expansion du modèle de la « science entrepreneuriale » dans l’industrie spatiale, mais aussi et surtout l’extension agressive de la marchandisation capitalistique jusque dans les confins de l’espace (outre le tourisme spatial, les promesses financiarisées de l’exploitation minière des astéroïdes sont les plus visibles), ces évolutions donc rectifieraient la trajectoire d’un secteur hier confiné, aujourd’hui globalisé (5) [5].
Le NewSpace signale moins le surgissement du « privé » ou le spectre d’une privatisation totale de l’espace que la formation d’un nouvel agencement privé/public.
Parce que ces transformations sont en cours, que l’hypothèse d’un basculement reste à étayer (6), qu’une bulle se forme et des consolidations et restructurations sont à prévoir dans l’écosystème du NewSpace, les spéculations vont bon train et le moindre indice de tensions ou de différends est l’objet d’interprétations et de surinterprétations (7). Il est tentant de n’y voir qu’un « business as usual », car les prophéties relatives à l’émergence d’une « nouvelle frontière » ou d’une nouvelle ère spatiale entrepreneuriale sont presque aussi anciennes que la filière (8). En outre, le NewSpace signale moins le surgissement du « privé » ou le spectre d’une privatisation totale de l’espace (9) que la formation d’un nouvel agencement privé/public, ce qu’illustrent l’histoire même de SpaceX et la plupart des compagnies installées dans la Baie de San Francisco, aidées par la Nasa. Ainsi le centre Ames de la Nasa, situé à Mountain View, à deux pas du campus Google, de Stanford University, etc., a-t-il très substantiellement encouragé l’entrepreneuriat et la commercialisation des applications depuis les années 2000 : le NewSpace est, à bien des égards, le résultat des politiques volontaristes en faveur de la commercialisation et de la privatisation des activités spatiales (10). Cela n’est pas spécifique à l’astronautique, c’est une transformation de fond qui touche le régime d’organisation des sciences et techniques aux États-Unis (et ailleurs) depuis le début des années 1980.
Ce réaménagement des frontières et des divisions internes du champ de l’astronautique étasunienne n’est pas sans d’âpres luttes de territoires professionnels et de conflits d’autorité, dont l’un des points de clivage principal est le contrôle de l’agenda de la politique spatiale, des ressources à mobiliser et, surtout, de la vision. Or pour les défenseurs d’exploration spatiale sous pavillon Nasa, c’est là que le bât blesse. Historien quasi officiel du programme spatial étasunien dans ses heures les plus flamboyantes, John Logsdon interprète le lancement de Falcon Heavy comme la « renaissance de l’esprit d’exploration » et de l’imaginaire de la frontière. Apollo 2.0, sans la Nasa ? Parmi les responsables d’agences, les directeurs de compagnies ou le personnel politique, personne, naturellement, n’aurait l’audace d’exprimer de façon si explicite ce qui, néanmoins, traverse les conversations en off sur l’avenir du programme spatial civil. Les défis martiens que SpaceX lance à la « communauté spatiale » sont pris pour ce qu’ils sont : d’audacieuses et fantasques projections, qui émanent d’esprits inventifs mais passablement déconnectés des exigences du management de programme standard et de la politique spatiale dans ce qu’elle peut avoir de plus implacablement réaliste (11). Selon cette perspective, il n’est sans doute pas risqué de confirmer que les vues d’artiste pseudo réalistes de l’éventuelle future Big F***ing Rocket (BFR) à destination de la planète rouge dès 2024 (à l’heure où j’écris…) relèvent de la science-fiction, pour dire le moins. De surcroît, ces plans de « colonisation » n’ont rien d’original et s’inscrivent dans l’histoire longue des utopies spatiales « visionnaires ».
Néanmoins, parce que Falcon Heavy est désormais opérationnel pour de prochains vols, la pression est immense sur les agences spatiales dont le mandat est (encore) d’explorer l’espace. Elles qui avaient le monopole de l’« inspiration » et du futur, les voilà sommées de commenter les succès de SpaceX aujourd’hui, de Blue Origin demain ou de Virgin Galactics après-demain. Le rôle d’autorité réglementaire, de loueur d’infrastructures de lancement ou, pire, de simple client ou spectateur est dégradant pour la Nasa. Le simple fait que la comparaison puisse être osée entre le plan farfelu et saturé d’hubris « Mars transportation infrastructure » de SpaceX et le programme « Journey to Mars » de la Nasa marque une rupture symbolique. Et pose les questions, dirimantes, du coût et des motivations. D’un côté donc, la compagnie SpaceX, le culot et l’imagination visionnaire en prime, véhiculée par un techno-prophète charismatique ; de l’autre, la Nasa et son programme éléphantesque conçu à coup de lobbying de coulisses et de négociations à n giga dollars entre la Maison-Blanche, le Congrès et le siège de la Nasa à Washington.
En dehors des experts et des insiders, qui s’intéresse à la dispute qui accompagne la nomination toujours reportée du futur administrateur de la Nasa, censé mettre en œuvre le programme d’exploration de l’espace ? Qui connaît le sénateur républicain controversé Jim Bridenstine, principal candidat au poste ? D’un côté, Falcon Heavy et surtout la BFR ; de l’autre, l’approche incrémentale et prudente de l’exploration (d’abord la Lune, puis Mars dans les années 2030) par le colossal Space Launch System et le vaisseau spatial Orion, qui ont englouti en tout près de 23 milliards de dollars (respectivement 12 et 11) depuis leur « lancement », et dont le premier vol est prévu en 2019, si l’intendance politique suit. En attendant la Lune, ou Mars, le coup de force symbolique de SpaceX révèle par contraste les piétinements et les atermoiements du programme spatial civil étasunien porté par la Nasa, qui ne date certes pas d’hier.
Oui mais : les compagnies du NewSpace accélèrent le tempo, au risque de brûler les étapes et d’échouer. L’histoire du spatial est un cimetière de projets avortés et de futurs non advenus. Malgré les progrès dans la conception et les opérations des systèmes et la science des fusées, le crédo « Space is hard » et le souvenir des accidents parfois mortels hantent les esprits des entrepreneurs les plus conquérants. C’est pourquoi les mois qui viennent seront extrêmement critiques. Car avant de surpasser ses concurrents immédiats sur le marché des lancements, dont ArianeGroup et sa future Ariane 6, SpaceX n’a d’autre option que maintenir la cadence infernale de son manifeste sans accrocs (trente lancements prévus en 2018, dont trois sur Falcon Heavy), tout en continuant à développer au pas de course des projets de R&D réalisés sur fonds propres ou en partenariat public-privé avec la Nasa ou l’US Air Force. Autant dire que si le lancement « à blanc » de Falcon Heavy est un précédent important de l’histoire de l’astronautique, il est déjà derrière nous. Que demain est un autre jour.
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- *Arnaud Saint-Martin : réalise une enquête sur l’émergence du « NewSpace », qui devrait donner lieu à la publication d’un livre dans un avenir pas trop lointain.
[1] W. Henry Lambright, Why Mars: Nasa and the Politics of Space Exploration, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2014 ; John M. Logsdon, After Apollo: Richard Nixon and the American Space Program, New York, Palgrave Macmillan, 2015, chapitre 3.
[2] Mais avec de concurrencer le lanceur lourd Delta 4 d’United Launch Alliance, actuellement en situation de monopole sur le marché surprotégé des satellites de défense et de reconnaissance espion hors de prix, il faudra qualifier Falcon Heavy. Sandra Erwin, « Military certification the next big test for Falcon Heavy », SpaceNews, 7 février 2018, http://spacenews.com/military-certification-the-next-big-test-for-falcon-heavy/, consulté le 10 février.
[3] Walter A. McDougall, « A Melancholic Space Age Anniversary », in Steven J. Dick, (ed.), Remembering the Space Age, Washington DC, NASA, 2008, p. 389-395.
[4] Avec un fonds de capital-risque, Google a investi 1 milliard de dollars dans SpaceX en janvier 2015.
[5] Voir Peter Dickens et James S. Ormrod, Cosmic Society: Towards a Sociology of the Universe, Londres, Routledge, 2007, chapitre 6. Aussi Louis Brennan et Alessandra Vecchi, The Business of Space: The Next Frontier of International Competition, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2011.
[6] Les premiers comptes rendus sont en général très en sympathie avec les ambitions des « astropreneurs » qui « disruptent » le spatial, par les promesses du tourisme spatial ou le commerce des lanceurs à bas coût. Par exemple, Julian Guthrie, How to Make a Spaceship, Londres, Transworld Publishers, 2017 [2016]. Pour un diagnostic documenté et autrement plus mesuré, voir Xavier Pasco, Le nouvel âge spatial. De la Guerre froide au New Space, Paris, CNRS Éditions, 2017.
[7] Ancienne administratrice adjointe de la Nasa et conseillère de Barack Obama, très impliquée dans les plans de commercialisation des vols spatiaux, Lori Garver s’est faite l’écho du refus de la Nasa et de l’US Air Force de placer une charge utile sous la coiffe du lanceur (Alan Boyle, « Did Nasa pass up SpaceX offer for Falcon Heavy payload? Former Nasa official raises questions », GeekWire, 8 février 2018, https://www.geekwire.com/2018/nasa-pass-spacex-falcon-heavy-garver/, consulté le 10 février 2018). Ce qu’un représentant de la Nasa a aussitôt nié. Lori Garver maintient toujours sa version, qui laisse à penser que la réussite de SpaceX, quoique saluée par l’administration de la Nasa, secoue l’establishment de l’astronautique étasunienne. Ce qu’elle résume dans une tribune livrée au lendemain du lancement, sans pour autant adhérer à 100 % aux projets de Musk, qu’elle estime un peu trop optimistes (Lori Garver, « SpaceX could save NASA and the future of space exploration », TheHill, 8 février 2018, http://thehill.com/opinion/technology/372994-spacex-could-save-nasa-and-the-future-of-space-exploration, consulté le 11 février 2018).
[8] Howard E. McCurdy, Space and the American Imagination, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2011, chapitre 10.
[9] L’industrie privée étasunienne, ses firmes multinationales comme le tissu dense des sous-traitants dispersés entre les États, et notamment autour des centres de la Nasa, n’apparaît pas ou peu dans la chronique des accomplissements de la Nasa ou de la Défense, mais n’en reste pas moins des acteurs-clés : les fournisseurs d’infrastructures et de services que les grosses agences fédérales continuent d’entretenir par des contrats commandités sont invisibilisés par les logos de la Nasa, mais n’en sont pas moins les indispensables maîtres d’œuvre. Joan Lisa Bromberg, Nasa and the Space Industry, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1999.
[10] À un niveau plus « micro », elles sont l’œuvre d’entrepreneurs en politiques spatiales qui cherchent à faire valoir un agenda et une vision, à l’instar de Simon « Pete » Worden, l’ancien directeur de Ames de 2006 à 2015 : admirateur de Musk, il a été un avocat opiniâtre de la cause de la privatisation et de l’entrepreneuriat au sein de la Nasa, et plaide désormais celle-ci dans le privé. Xavier Pasco, Le nouvel âge spatial, op. cit., p. 130-132 ; Ashlee Vance, Elon Musk, op. cit., p. 115.
[11] Outre la négociation des gros contrats les premières années de la compagnie, les cadres de SpaceX ont néanmoins fait preuve d’une certaine pugnacité en 2014-2015 lorsqu’il s’est agi de contester auprès de la Cour des Revendications Fédérales à Washington le monopole de United Launch Alliance sur le marché lucratif des lancements réalisés pour le compte du Pentagone. Mike Gruss, « SpaceX, Air Force Settle Lawsuit over ULA Blockbuy », SpaceNews, 23 janvier 2015, http://spacenews.com/spacex-air-force-reach-agreement/, consulté le 12 février 2018.