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Sortir de la « merde anhistorique » ! Face à la complexité du monde 1/2

Politiste

Qui peut se satisfaire d’un métadiscours qui s’autoproclame capable de rendre compte, dans les mêmes termes, du devenir de l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique latine, et pourquoi pas, demain, de la lune ? Afin de sortir d’une vision occidentalo-centrée et de raisonnements simplistes, il est nécessaire de prendre systématiquement en considération le passé historique et sa problématisation pour appréhender les questions contemporaines. Démonstration en deux parties.

Chercheur transgenre disciplinaire, encore qu’ethniquement politiste de par ma formation initiale, je suis souvent affligé, et confondu, devant la superficialité et, pour tout dire, la débilité – dans les deux sens du terme – du débat public sur les questions internationales. Ce sont toujours les mêmes mots valises que transportent les responsables politiques ou administratifs, et bon nombre de journalistes, pour commenter l’actualité : la globalisation, la gouvernance, la corruption, la société civile, l’État faible ou en faillite, l’identité, et tutti quanti.

D’une situation à l’autre, à droite comme à gauche, les mêmes pseudo-explications sont ressassées sans aucune considération pour leur arrière-plan historique, comme si les problèmes étaient identiques, et comme si les solutions devaient donc l’être elles aussi : toujours plus de d’élections, toujours plus de société civile, toujours plus de transparence, toujours plus de libéralisation économique, toujours plus de réformes, etc. « pour que tout reste pareil », ou à peu près, du point de vue de la domination politique. La plupart des paradigmes en vogue participent d’un évolutionnisme historiciste très daté – ce sont des surgeons du positivisme du XIXe siècle –, et définitivement niais : la « transition à la démocratie et (bien sûr !) à l’économie de marché », le « développement », l’« émergence », autant de visions normatives, parfois de connotation religieuse et rédemptrice, sinon millénariste, qui devraient d’ailleurs nous amener à nous interroger sur la dernière coqueluche des médias et des cercles politiques, la « transition énergétique », une de plus.

Or, qui peut croire que la complexité du monde puisse se résumer à une alternative entre avancer et reculer, selon le vieil adage du volontarisme populaire : « qui n’avance pas recule » ? Qui peut se satisfaire d’un métadiscours qui s’autoproclame capable de rendre compte, dans les mêmes termes, du devenir de l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Afrique,


[1] Edward P. Thompson, Misère de la théorie. Contre Althusser et le marxisme anti-humaniste, Paris, L’Echappée, 2015, pp. 208-209.

[2]  Jules Michelet, Le Peuple, Bruxelles, Méline, Cans et Compagnie, 1846, tome I, p. XII.

[3]  Marc Bloch, Apologie pour l’histoire, ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1952, p. 5.

[4] Voir, de Jean-François Bayart, « France-Afrique : la fin du pacte colonial », Politique africaine 39, sept. 1990, pp. 47-53 ; « L’afropessimisme par le bas. Réponse à Achille Mbembe, Jean Copans et quelques autres », Politique africaine 40, déc. 1990, pp. 103-108 ; « La problématique de la démocratie en Afrique noire. La Baule, et puis après ? », Politique africaine 43, octobre 1991, pp. 5-20 ; « France-Afrique : aider moins pour aider mieux », Politique internationale 56, été 1992, pp. 141-159 ; « La politique africaine de la France : de Charybde en Scylla ? », Politique africaine 49, mars 1993, pp. 133-143 ; « Réflexions sur la politique africaine de la France », Politique africaine 58, 1995, pp. 41-50 ; « L’Afrique invisible », Politique internationale 70, hiver 1995-1996, pp. 287-300 ; « L’embrasement de l’Afrique sub-saharienne », Politique internationale 77, automne 1997, pp. 185-202.

[5] Guy Hermet, « Dictatures bourgeoises et modernisation conservatrice. Problèmes méthodologiques de l’analyse des situations autoritaires », Revue française de science politique, 25 (6), décembre 1975, pp. 1029-1061.

[6] Michel Vovelle, Idéologies et mentalités, Paris, Maspero, 1982 ; Philippe Joutard, La Légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977

[7] Jean-François Bayart, L’Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989 (nouvelle édition augmentée en 2006)

[8] Fariba Adelkhah, « Elections et notabilité en Iran. Une analyse du scrutin législatif de 2016 dans quatre circonscriptions », Les Etudes du CERI, 230, mai 2017 et « Guerre, reconstruction de l’Etat et invention de la tradition en Afghanistan », Les Etudes du

Jean-François Bayart

Politiste, Professeur à l'IHEID de Genève titulaire de la chaire Yves Oltramare "Religion et politique dans le monde contemporain"

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Notes

[1] Edward P. Thompson, Misère de la théorie. Contre Althusser et le marxisme anti-humaniste, Paris, L’Echappée, 2015, pp. 208-209.

[2]  Jules Michelet, Le Peuple, Bruxelles, Méline, Cans et Compagnie, 1846, tome I, p. XII.

[3]  Marc Bloch, Apologie pour l’histoire, ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1952, p. 5.

[4] Voir, de Jean-François Bayart, « France-Afrique : la fin du pacte colonial », Politique africaine 39, sept. 1990, pp. 47-53 ; « L’afropessimisme par le bas. Réponse à Achille Mbembe, Jean Copans et quelques autres », Politique africaine 40, déc. 1990, pp. 103-108 ; « La problématique de la démocratie en Afrique noire. La Baule, et puis après ? », Politique africaine 43, octobre 1991, pp. 5-20 ; « France-Afrique : aider moins pour aider mieux », Politique internationale 56, été 1992, pp. 141-159 ; « La politique africaine de la France : de Charybde en Scylla ? », Politique africaine 49, mars 1993, pp. 133-143 ; « Réflexions sur la politique africaine de la France », Politique africaine 58, 1995, pp. 41-50 ; « L’Afrique invisible », Politique internationale 70, hiver 1995-1996, pp. 287-300 ; « L’embrasement de l’Afrique sub-saharienne », Politique internationale 77, automne 1997, pp. 185-202.

[5] Guy Hermet, « Dictatures bourgeoises et modernisation conservatrice. Problèmes méthodologiques de l’analyse des situations autoritaires », Revue française de science politique, 25 (6), décembre 1975, pp. 1029-1061.

[6] Michel Vovelle, Idéologies et mentalités, Paris, Maspero, 1982 ; Philippe Joutard, La Légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977

[7] Jean-François Bayart, L’Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989 (nouvelle édition augmentée en 2006)

[8] Fariba Adelkhah, « Elections et notabilité en Iran. Une analyse du scrutin législatif de 2016 dans quatre circonscriptions », Les Etudes du CERI, 230, mai 2017 et « Guerre, reconstruction de l’Etat et invention de la tradition en Afghanistan », Les Etudes du