Immigration

La gauche et l’immigration

Historien

La question de l’immigration en France, et sa perception, est profondément structurée par les évolutions du champ politique. Elle a surgi comme « problème » dans l’espace public à partir du clivage entre le national et le social qui a accompagné le processus de nationalisation de la IIIe République. L’histoire longue de l’immigration éclaire les polémiques actuelles et la place de la gauche dans le rapport de la France aux immigrés.

Sans pouvoir insister ici sur une question que j’ai amplement développée dans un livre, récent[1], je voudrais commencer par rappeler que les migrations ont toujours été une dimension centrale dans l’histoire des classes populaires. Quitter sa terre, son quartier, son pays pour échapper à la misère ou à la violence a été la solution qui s’est imposée comme un ultime recours pour des millions d’individus. Ce n’est donc pas la mobilité en elle-même qui est un phénomène nouveau, mais les formes différentes qu’elle a prise au cours du temps et le type de contrôle qu’ont développé les autorités chargées de défendre les intérêts des « insiders ». Car une autre constante qui s’observe sur la longue durée, c’est que les migrations humaines ont le plus souvent été perçues par ces derniers comme une menace. C’est pourquoi les pouvoirs en place ont imaginé des solutions de plus en plus perfectionnées pour maîtriser les flux, les canaliser, voire même les interdire.

Il faut toutefois souligner que jusqu’au milieu du XIXe siècle, la question migratoire n’était pas étroitement reliée à la question nationale. Sous le Second Empire, c’est l’afflux des ruraux dans les villes, et surtout à Paris, qui préoccupait les autorités. À cette époque en effet, un profond fossé séparait encore les élites et les classes populaires, ces dernières étant perçues comme une masse indifférenciée et potentiellement menaçante, comme l’a montré l’historien Louis Chevalier dans le livre intitulé : Classes laborieuses, classes dangereuses. C’est pour tenter de surveiller les déplacements d’un peuple jugé trop mobile que les autorités ont mis en place les « passeports à l’intérieur » et les livrets ouvriers, contraignant les voyageurs à signaler leurs déplacements dès qu’ils franchissaient les limites de leur département. Dans le domaine social, l’attribution des secours aux indigents était encore directement connectée au domicile. Les bureaux de bienfaisance étant réservés à ceux qui habitaient la commun


[1]Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France, de la Guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, 2018.

Gérard Noiriel

Historien, Directeur d'études à l'EHESS

Notes

[1]Gérard Noiriel, Une histoire populaire de la France, de la Guerre de Cent Ans à nos jours, Agone, 2018.