Santé

Macron entend révolutionner le système de santé… à moyens constants !

Sociologue

Avec le plan Ma Santé 2022, le président de la République et sa ministre Agnès Buzyn dessinent un tableau en apparence limpide, où chacun.e est à sa place, travaille en harmonie avec les autres et sans plus aucun problème de financement. Une impression faite d’enchantement et d’évidence qui s’érode dès que l’on y regarde de plus près et qui oblige à interroger la beauté du « décloisonnement » et de la révolution à moyens constants.

Avec « Ma Santé 2022 »le gouvernement entend proposer un Plan digne des ordonnances et du décret de 1958 qui ont structuré le système de santé jusqu’à aujourd’hui en instituant les Centres Hospitalo-Universitaires (CHU). « Digne de 1958 » mais aussi « à l’inverse de 1958 » puisque l’enjeu principal est de défaire l’hôpital de son rôle de pivot dans le parcours des patient.e.s. Renforcer la prévention, désengorger les urgences, en finir avec la logique de rentabilité à l’hôpital, fluidifier le parcours des patient.e.s, garantir la pertinence et la qualité des soins et les conditions de travail des soignant.e.s, assurer l’accès à des soins innovants, tels sont les objectifs de ce Plan érigeant le « décloisonnement » en maître mot.

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Ces idées ne sont pas nouvelles, elles sont portées depuis longtemps par de nombreux.ses expert.e.s et ont été pour partie inscrites dans des lois de santé, notamment celle de 2016. La première précaution à prendre consiste ainsi à mettre à distance la rhétorique politique et la symbolique de la rupture pour saisir l’inscription de ce Plan dans une histoire plus longue que celle des seize mois de présidence Macron. La seconde précaution n’est pas la moins facile à prendre, il s’agit de se rendre en mesure de porter un regard critique et nuancé sur un Plan salué de toute part voire acclamé par une majeure partie des élites bureaucratiques, politiques, professionnelles et même universitaires, du monde de la santé. Car les éléments de langages qui fleurissent ont en effet de quoi annoncer un système de santé futur ragaillardi : prévention, coordination, décloisonnement, qualité, etc. L’enjeu dans cet article n’est pas d’évaluer le Plan santé mais bien plutôt de le décrypter, de mettre en lumière ce que la présentation qui en est faite tend à invisibiliser et de penser la logique politique et économique qu’il implique.

« Ma Santé 2022 » part du principe que la place prépondérante des maladies chroniques, le développement de la télémédecine, des innovations thérapeutiques, de la chirurgie ambulatoire, rendent le système de santé actuel inadapté car trop hospitalo-centré. En dépit des effets de discours, l’hôpital est désigné non pas tant comme une victime du système que comme un coupable, trop lourd, trop omniprésent à l’esprit des citoyen.nes. L’hôpital mais aussi en filigrane les fonctionnaires hospitalier.ère.s qui doivent laisser place aux contractuel.le.s, plus « agiles ». Adaptabilité, décloisonnement, remise en cause des macro-structures et des statuts, le Plan santé rappelle ainsi étrangement les mutations qu’a connu le monde du travail dans les années 1990 et 2000 avec la promotion de la flexibilité, de la mobilité et de la mise en réseaux. Le Plan santé marque la volonté de convertir le système de santé à la logique de ce que Luc Boltanski et Ève Chiapello ont identifié à la fin des années 1990 comme l’avènement d’une cité par projets.

Les pièges du parcours et la très incomplète prévention

Depuis plusieurs années, la critique d’un grand nombre de professionnel.le.s du monde de la santé s’est portée sur l’incapacité à penser la prise en charge des patient.e.s comme un tout. Pointant notamment l’incongruité de financements disjoints pour un patient dans le cadre d’une prise en charge se déroulant en ville et à l’hôpital, beaucoup militent depuis plusieurs années pour un « financement au parcours ». Le gouvernement a annoncé mettre en place ce type de financement, d’abord pour l’insuffisance rénale et l’ostéoporose puis en l’étendant aux principales pathologies chroniques. Le financement au parcours doit principalement éviter la réalisation d’actes inutiles et redondants et garantir une meilleure collaboration entre la médecine de ville et l’hôpital.

Cette première déclinaison du « décloisonnement », si elle semble aller de soi, pose cependant deux questions majeures, en suspens pour l’instant. La première concerne, au-delà des modalités de financement, le financement « tout court ». Si le mode d’allocation des ressources est un débat, le niveau de ces ressources doit tout autant en être un. Beaucoup de professionnel.le.s de santé, par exemple les hépatologues, insistent : le financement au parcours ne changera rien si les soignant.e.s demeurent sous pression et empêché.e.s de travailler correctement. Deuxièmement, une question se pose concernant l’organisation de ce parcours et sur la plus ou moins grande standardisation des prises en charge, un parcours pour une prothèse de hanche n’ayant ainsi rien à voir avec un parcours pour un.e patient.e touché.e par le VIH.

Autre volet de ce Plan santé : la prévention. Le gouvernement a annoncé que le financement au forfait à l’hôpital pour certaines pathologies inclurait la rémunération des actions de prévention. Le « service sanitaire » lancé quelques mois plus tôt va aussi dans ce sens puisqu’il oblige les étudiant.e.s en médecine, pharmacie, etc. à réaliser un stage par exemple dans des écoles pour sensibiliser les élèves (et elles-mêmes et eux-mêmes au passage) aux enjeux de prévention. Cette prise en compte de la prévention est là aussi appréciée par les associations spécialisées qui notent que le Plan va ainsi dans le bon sens.

Il n’est cependant pas exagéré de dire que cette attention portée à la prévention trouve un écho singulier quelques semaines après la démission de Nicolas Hulot et alors que les états généraux de l’alimentation ont été globalement considérés comme un échec et que l’interdiction du glyphosate ne se fera pas dans les trois ans à venir. S’il faut analyser les politiques de prévention, il importe de savoir les saisir au-delà des seules politiques de santé.

L’hôpital du XXIsiècle… pris dans l’étau de la doxa budgétaire

Habile, le gouvernement a cherché à affaiblir la critique en reprenant à son compte l’idée d’un hôpital public « au bout de ce qu’il peut faire » et en dénonçant un système de financement encourageant la course à la rentabilité et aux actes, parfois inutiles. Le Plan prévoit ainsi de désengorger les urgences avec le développement de permanence des soins en ville. Il entend en finir avec la tarification à l’activité (la T2A) en encourageant pour certaines pathologies des financements au parcours ou par forfait (ainsi en est-il du diabète et des insuffisances rénales chroniques). Il propose enfin de structurer en trois niveaux les établissements, allant des hôpitaux de proximité aux établissements de références ultra-spécialisés (les CHU actuels) en passant par un échelon intermédiaire « d’établissements hospitaliers de recours ».

Des intentions là aussi louables mais qui ne résolvent pas pour autant les conditions de travail à l’hôpital (du moins dans l’immédiat). Les 450 millions d’euros supplémentaires ne changeront pas grand chose au vu des économies réalisées depuis plusieurs décennies et c’est d’ailleurs ce que dit le président de la République : « Notre système de santé ne souffre pas d’abord d’un problème de sous-financement, il pêche par un vrai handicap d’organisation, le modèle d’organisation n’est plus adapté ni à la demande, ni à l’offre de soins. » La mise en avant d’une crise organisationnelle pour délégitimer une lecture financière de la crise n’a semble-t-il pas convaincu certain.e.s soignant.e.s qui ont interpelé la ministre, l’informant, qu’en dépit de la beauté du décloisonnement, « on a besoin de brancards tout de suite ».

Le décloisonnement s’incarne aussi dans la volonté toujours réaffirmée de promouvoir la chirurgie ambulatoire (le fait d’être opéré.e sans dormir à l’hôpital). Sur ce point, le Plan du gouvernement prolongent les réformes entamées depuis plus de quinze ans. Si l’ambulatoire présente de nombreux avantages, notamment celui de ne pas garder les patient.e.s la nuit, elle présente aussi l’inconvénient de devenir une norme inadaptée à certaines populations, les personnes âgées ou isolées notamment. Surtout, le développement de cette logique conduit à reporter une partie des dépenses de santé sur les personnes et leur entourage considérant que, si l’opération en tant que soin technique doit être pris en charge par la sécurité sociale, le suivi peut, lui, rester partiellement à la charge des personnes.

Défaire l’hôpital de certaines de ses missions (par exemple le suivi post-opératoire) peut donc paraître louable, reste ensuite à interroger les modalités de financement du suivi et donc une privatisation à bas bruit des dépenses de santé, par le report de charge sur les personnes et leurs proches.

Enfin, comment ne pas relever l’idée d’intéressement à la performance et d’entretiens annuels à l’hôpital ? Provenant tout droit de la cité par projets et des méthodes de management appliquées aux entreprises, ces mécanismes valident le développement de l’évaluation et d’une forme d’individualisation au sein de structures répondant théoriquement à des valeurs autres, que Luc Boltanski et Ève Chiapello qualifient de grandeurs civiques. Les enquêtes sociologiques sur l’hôpital montrent qu’une partie des soignants considèrent comme inutiles ce type d’incitations et réclament non pas des récompenses financières pour bonne conduite mais une augmentation structurelle et permanente des moyens pour mieux travailler. Les logiques politiques à l’œuvre sont là bien différentes.

Au-delà d’un droit, un secteur d’activité et un marché

Ce point n’est pas au cœur du Plan santé mais il occupe trop l’esprit des gouvernant.e.s pour ne pas être ici exposé. S’en tenir aux seules mesures annoncées serait une erreur, il faut bien au contraire saisir la vue d’ensemble qu’Emmanuel Macron a de la santé en tant que système mais aussi en tant que secteur d’activité économique. La mention qu’il a fait de la « médecine personnalisée » (à deux reprises) a son importance. Cette notion de médecine personnalisée renvoie à l’idée d’une prise en charge adaptée à chaque patient.e notamment par la prescription de produits thérapeutiques de pointes en fonction des caractéristiques génétiques de la personne.

Cette nouvelle médecine, particulièrement dans le cancer, va aujourd’hui de pair avec des médicaments ou des traitements aux prix considérés par de nombreuses associations comme insoutenables pour les systèmes d’assurance maladie. En n’interrogeant pas le niveau des prix mais en consacrant cette médecine personnalisée, le Président indique ne pas considérer la régulation du marché pharmaceutique comme un enjeu (par ailleurs absent du Plan santé).

La vue d’ensemble non pas du Plan santé mais du système sanitaire donne à voir une restructuration pour partie attendue mais pour partie probablement insuffisante en termes de conditions de travail des soignant.e.s et de prise en charge des patient.e.s. La place potentiellement laissée aux assurances privées par le développement de l’ambulatoire, celle laissée aux industries de santé par la promotion – parfois aveugle – de la médecine personnalisée ainsi que la volonté de fragiliser la fonction publique hospitalière par le recours accrue à la contractualisation tendent à dessiner un tout autre tableau que celui présenté le 18 septembre.

Le Plan implique en creux que la santé doit être pensée comme un secteur d’activité et de croissance ainsi que comme un marché devant encourager les bonnes pratiques. Il est en cela bien peu original, reproduisant les logiques du managed care américain et s’inspirant des logiques établies dans les années 1970-1980. Le Plan santé pourrait n’apparaître que comme une réorganisation des parcours, des modes de financement, et comme une revalorisation du principe de prévention. Il est tout à la fois cela et simultanément un programme politique affaiblissant potentiellement la solidarité en santé.


Pierre-André Juven

Sociologue, Chargé de recherche au CNRS et membre du CERMES3