Politique

Le temps du remaniement ou le vieillissement politique de Macron

Politiste

Avec un peu de recul, le dernier remaniement apparait comme le signe d’un vieillissement prématuré du macronisme. À peine arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a vu son action rapidement devenir le passif dont il était exempt lors de la campagne. Désormais la majorité ne peut plus prétendre n’être ni de gauche ni de droite, prétention qui lui avait jusque-là permis d’esquiver une bonne partie de la critique.

Un remaniement fait partie de ces séquences politiques qui font beaucoup parler. Des journalistes soucieux de publier et de commenter la moindre information sur les hommes politiques, cherchant à deviner lesquels d’entre eux vont ou non être appelés à des fonctions gouvernementales, jusqu’aux citoyens s’interrogeant sur les changements politiques à venir et les conséquences éventuelles sur leur vie quotidienne, chaque remaniement est l’occasion d’une intensification des calculs, petites prédictions et grandes conjectures politiques. Une petite parenthèse où la routine politique se trouve suspendue pour un bref moment, où l’inattendu frappe fort peu discrètement à la porte du gouvernement.

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Alors que le remaniement se négocie en coulisses, les commentateurs, professionnels ou improvisés, se livrent au jeu préféré de cette séquence si particulière : le name dropping. Noms des secrétaires d’État et des ministres qui perdront peut-être leurs maroquins, noms des éventuels prétendants qui les remplaceront peut-être, noms de ceux qui (ne) seront (jamais) contactés, les noms fusent, toujours plus nombreux que les places à occuper, et les démentis des intéressés suivent presque immédiatement. Mais pour celles et ceux dont les noms sont inscrits sur la short list, la discrétion est de mise avant toute proclamation du futur gouvernement. Jeu des égos et valse des noms au nombre de plus en plus restreint au fur et à mesure que la liste se remplit et que ces informations fuitent dans les milieux autorisés, puis dans la presse. Le succès médiatique de ce name dropping est l’effet de la rencontre de la discrétion voire du secret qui accompagne nécessairement la constitution du futur gouvernement avec l’intérêt qu’elle suscite chez les professionnels de la politique. Parmi eux, nombre font mine d’en savoir plus qu’ils ne savent en réalité alors qu’aucun d’entre eux ou presque ne connaît la liste des futurs nommés. Cette méconnaissance fait le sel de cette séquence, plus ou moins courte, séparant l’annonce du remaniement de la proclamation du nouveau gouvernement.

Le name dropping fait alors place à la phase suivante d’un remaniement qui, politiquement, ne se clôt pas avec la proclamation : les luttes autour de son interprétation légitime. La fonction de cette dernière phase consiste à produire et à stabiliser un sens plus ou moins officiel à la réduction du champ des possibles que l’annonce du remaniement avait ouvert. Ainsi, le name dropping fait place au name working, c’est-à-dire au travail de manipulation symbolique de ces noms anciens et nouveaux pour redéfinir l’identité politique du collectif recomposé et préempter le sens que l’on doit accorder à son action future. Entre continuité et changement, le président de la République, Emmanuel Macron, a opté pour la continuité dans le changement lors de son allocution du 16 octobre dernier. La recomposition du gouvernement, la nécessité d’un « second souffle » ou d’un « nouvel élan » ne signifient pas un changement mais un maintien du cap. En ce sens, le remaniement est rangé par ses auteurs, le président et son premier ministre, au nombre des remaniements techniques et non parmi les remaniements politiques : un changement de personnes sans effet annoncé sur le projet politique.

Ce faisant, Emmanuel Macron a de lui-même brisé l’illusion du nom sur lequel repose en partie la logique du remaniement et de la phase du name dropping. Parmi les présupposés des commentateurs, il y a l’idée que le choix d’une personnalité plutôt qu’une autre aurait des effets sur l’orientation politique d’un gouvernement, qu’un ministre possède une grande marge de manœuvre pour diriger son ministère, qu’il mène une politique… Illusion qui s’accompagne d’une autre illusion que partagent nombre de commentateurs politiques : qu’un bon casting entraîne une bonne politique. En l’occurrence, le choix des personnalités n’aurait, selon le président de la République, aucune incidence sur l’orientation, la logique et le rythme des réformes au programme du gouvernement.

Le remaniement est un instrument à la fois pratique et symbolique qui permet à la majorité de fermer une séquence calamiteuse.

La vertu de ce remaniement réside dans les usages symboliques qu’il autorise. Pour une majorité confrontée à l’absence des résultats promis, aux mauvais sondages, aux effets de l’affaire Benalla et aux démissions successives – et pour le moins inattendues – de ministres comme Nicolas Hulot, Laura Flessel et Gérard Collomb, le remaniement est en quelque sorte un instrument à la fois pratique (recomposition du personnel gouvernemental) et symbolique (refondation symbolique d’un collectif) qui lui permet de fermer cette séquence calamiteuse et d’en atténuer les effets politiques en renvoyant au passé ce qui handicapait l’action gouvernementale. En même temps, le remaniement ouvre une nouvelle séquence politique en orientant le regard vers l’à venir : une manière fort classique de lever les hypothèques politiques qui pesaient sur l’action gouvernementale. Le remaniement a la vertu de redonner un peu de temps à la politique gouvernementale et un peu de maîtrise du jeu politique.

Il est un effet prévisible que l’exercice du pouvoir provoque et auquel la majorité actuelle est confrontée plus tôt que prévu : son inexorable vieillissement politique. Il faut se rappeler – mais ce n’est pas si ancien – que l’une des conditions du succès d’Emmanuel Macron a résidé dans sa relative virginité politique. Sans parti ni militant pour soutenir sa candidature, sans passé ni passif à faire valoir auprès des électeurs, Emmanuel Macron, un temps ministre mais jamais élu, a créé ex nihilo son mouvement au cours d’une campagne présidentielle qui a consisté en une double conversion : une conversion de son capital médiatique en un capital militant et une conversion de ce capital militant en un capital électoral. Ce travail politique au succès improbable s’est appuyé sur une rhétorique de la nouveauté qui oppose le « nouveau monde » à l’« ancien monde », des pratiques nouvelles aux anciennes pratiques, un personnel issu de la « société civile » à une caste politique incapable de s’adapter au XXIe siècle. Ce credo l’invite à prendre les bonnes idées là où elles se trouvent, à gauche et à droite, sans considération pour ce vieux clivage gauche-droite, émanation de l’« ancien monde », qui empêcherait la France de s’adapter au monde qui change.

Au cours de la campagne présidentielle et des législatives qui ont suivi, la parole d’Emmanuel Macron n’était encombrée ni par un bilan ni par un passé politique : sa parole pouvait passer pour charismatique et, en ce sens, elle définissait le réel de sa politique à venir. Une fois au pouvoir, sa parole se double nécessairement de ses propres actions et de celles de son gouvernement, lesquelles suscitent mécaniquement des interprétations concurrentes des siennes en provenance de ses oppositions. Au fur et à mesure que l’application de son programme politique fabrique un présent puis un passé d’actions, Emmanuel Macron perd le monopole de l’interprétation légitime de son action. Au fur et à mesure que les résultats promis tardent à venir et à se montrer, sa parole perd de la crédibilité et du charisme qu’on lui prêtait si volontiers auparavant. Dans le même temps, son mouvement, qui tire sa légitimité de sa seule personne, se transforme fort classiquement en parti politique et sa majorité législative apprend à travailler ensemble et à produire la loi. Se constitue alors un groupe de professionnels de la politique, plus ou moins expérimentés, habilités à prendre la parole en son nom, au nom du gouvernement comme au nom du parti. La parole présidentielle doit maintenant faire avec la polyphonie d’une majorité présidentielle, ce qui n’est pas sans effet sur un charisme présidentiel qui doit faire face à sa routinisation.

Le gouvernement se trouve donc gouverné par les imprévus alors que les résultats de sa politique se font toujours attendre.

Par définition, un remaniement n’est jamais le fruit du hasard mais s’impose aux gouvernants. De la conquête du pouvoir au remaniement, le temps des illusions a fait place aux désillusions. De l’affaire Benalla aux démissions des ministres, la majorité présidentielle est confrontée à une perte d’emprise sur le temps politique et les événements qui le ponctuent et le structurent. Les choses politiques ne tournent plus vraiment comme elles le devraient, comme elles avaient été prévues. La réforme constitutionnelle est repoussée, le plan pauvreté n’a pas eu les effets de recentrage escomptés sur l’« opinion », l’affaire Benalla entraîne une réorganisation de l’Élysée, etc. Le gouvernement se trouve donc gouverné par les imprévus alors que les résultats de sa politique se font toujours attendre.

Dans sa conquête du pouvoir, Emmanuel Macron avait profité d’une crise de l’organisation du duopole politique (remise en cause de l’alternance politique, scandales, etc.) qui avait affecté la croyance en (l’efficacité de) la politique. Confrontés à l’incertitude électorale, un certain nombre d’élus de droite et de gauche s’étaient saisis de la rhétorique du dépassement du clivage gauche-droite pour rejoindre En Marche ! Cette logique de regroupement invite le politiste à présenter le « macronisme » comme une entreprise de reconversion et de recodification des affiliations politiques autorisant de nouvelles stratégies de regroupement et de franchissement de la frontière symbolique entre la gauche et la droite qui, la veille encore, étaient fort coûteuses politiquement. C’est de cette dynamique que le remaniement laisse entrevoir le ralentissement, voire l’arrêt, provisoires du moins.

Les démissions de Nicolas Hulot et de Gérard Collomb, comme la durée du remaniement, révèlent qu’Emmanuel Macron est affecté à son tour par la crise de croyance dont ses adversaires socialistes et républicains avaient souffert lors de la présidentielle et des élections législatives. Les résultats économiques peu conformes aux promesses de campagne, les pratiques et les usages du pouvoir, la baisse de popularité dans les sondages, les stratégies de labellisation de sa politique (« le président des riches ») remettent en cause la rhétorique politique qui avait fait son succès. De fait, l’action de la majorité présidentielle devient un passif qui remet en question les prétentions de la majorité à n’être ni de gauche ni de droite, à être en même temps de gauche et de droite. Les propres actions d’Emmanuel Macron sont devenues des contestations en actes de sa parole et il lui est de plus en plus difficile de nier que ses actions penchent à droite.

Il se prend alors les pieds dans les cadres de perception et d’appréciation de la politique, toujours empreints et structurés par les catégories les plus légitimes de la politique : les catégories « gauche » et « droite ». Si Emmanuel Macron est aujourd’hui confronté au vieillissement politique que subit tout groupement politique au pouvoir, le remaniement est l’un des expédients qui s’offrent aux gouvernants quand ils sont confrontés à l’érosion mécanique ou prématurée de leur crédit politique. Un expédient classique qui révèle que LREM est maintenant devenu un groupement politique comme les autres, confronté aux mêmes problèmes de pouvoir que les autres. Emmanuel Macron s’est acheté du temps. Mais pour quoi faire ? Continuer, certes. Mais continuer dans ces conditions, c’est ériger ses propres croyances en barreaux de sa prison. Et quand on est président de la République, c’est y enfermer également les citoyens dont on a en charge le quotidien et le destin.


Christophe Le Digol

Politiste, Maitre de conférence à Paris Nanterre