Pour une esthétique de la pop culture
En 1975, dans La Culture pour vivre, un de ses essais appelés à connaître un important succès public, Jacques Rigaud, directeur de cabinet du ministre de la Culture sous Pompidou et figure clé de nombreuses institutions culturelles, proposait une formule qui résumait assez bien les conceptions dominantes de la culture : « Consommer, c’est consumer ; mais cultiver, c’est faire naître ; c’est travailler. » Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’un peu plus de quarante ans après, au moment où l’on voit jeux vidéo et séries télévisées s’afficher en pleine page dans les rubriques culturelles des journaux, l’opposition entre culture et consommation ne paraît plus une évidence.

Ouvrir un journal, n’importe lequel, c’est prendre la mesure de ces mutations : loin des stigmatisations des industries culturelles, on place au centre de ce discours sur la culture les blockbusters, la pop musique, les jeux vidéo, non pas parce qu’ils seraient l’expression d’une révolte (comme le punk ou le hip hop) ou d’une remise en cause des représentations dominantes (comme certains jeux vidéo « indé »), mais parce qu’ils forment tout simplement le cœur de notre culture.
En réalité, il est difficile de prendre la mesure des transformations de notre relation à la culture depuis quelques décennies. Le modèle moderniste, qui avait servi de socle idéologique à nos sociétés depuis la fin du XIXe siècle et sur lequel reposait notre représentation de la culture, semble bien mal en point. La fameuse opposition entre haute culture et culture de masse, entre culture savante et culture populaire, n’est plus qu’un fantôme qui ne resurgit que ponctuellement, mais auquel plus personne ne croit guère sérieusement. Surtout, c’est l’opposition entre l’artiste et le marché, entre industrie et création, qui semble à peu près intenable.
Imaginons pourtant que dans les années 1970 encore, autrement dit hier, pour une bonne partie du public, la bande-dessinée restait considérée comme une production pour enfants et