Politique

Macron pourra-t-il encore longtemps se passer d’un « vrai » parti politique ?

Politiste

Emmanuel Macron apparaît de plus en plus clairement comme un président sans parti. Simple état-major occupé à procurer de la tranquillité à son chef, LREM ne produit ni idées ni ancrage local. Si le défaut de base organisationnelle a largement contribué à l’élection d’Emmanuel Macron, cela pourrait rapidement grever son avenir politique.

Du point de vue de la science politique, la France connaît depuis le mois de mai 2017 une situation quasi expérimentale. On ne le répètera jamais assez, l’accès à la magistrature suprême, à sa première tentative, d’un homme jamais élu ni même précédemment candidat à la moindre élection, porté par une organisation rudimentaire mise sur pied moins de deux ans auparavant, est non seulement inédite dans notre pays, mais dans toutes les « vieilles démocraties ».

Si les primaires américaines ont parfois débouché sur la victoire d’outsiders (Donald Trump par exemple), aucun candidat indépendant n’est jamais parvenu à entrer à la Maison blanche. Il faut se tourner vers les régimes présidentiels d’Amérique latine pour rencontrer de tels exploits. Au Pérou, en 1990, Alberto Fujimori a ainsi été élu à la présidence du pays contre le candidat de l’establishment, l’écrivain Mario Vargas Llosa, dans un contexte de profond discrédit des partis politiques. Au Venezuela, en 1998, le colonel Hugo Chavez, quatre ans après être sorti de prison pour un putsch manqué et avoir créé un nouveau parti d’orientation socialiste, le Mouvement Cinquième République (MVR), a gagné successivement les élections législatives et présidentielle.

On n’a pas fini de gloser sur les causes d’une telle performance. Le discrédit des partis y figure en bonne place. Mais notre système institutionnel y a sa part. L’élection du président de la République au suffrage universel, associée à un remboursement public assez généreux des dépenses de campagne et à un accès équitable aux médias, favorise davantage les entreprises charismatiques que les élections législatives, notamment quand les députés sont élus au scrutin proportionnel.

Dans les régimes parlementaires européens, seule l’Italie contemporaine a connu deux bouleversements politiques comparables : en 1994, avec la victoire de Silvio Berlusconi et de Forza Italia – mais le Cavaliere n’avait alors gagné qu’en devenant le chef d’une coalition de partis et d’


[1] Boelaert (Julien), Michon (Sébastien), Ollion (Étienne), « Le temps des élites. Ouverture politique et fermeture sociale à l’Assemblée nationale en 2017 », Revue française de science politique, 68 (5), 2018.

[2] Mauro Calise, Il partito personale, Roma-Bari, Laterza, 2000 et Duncan McDonnell, « Silvio Berlusconi’s personal parties : from Forza Italia to the Popolo della Libertà », Political Studies, 61 (1), 2013.

[3] Je discute cette thèse dans mon article « Les partis sont-ils voués à disparaître ? », in Gaxie (Daniel), Pelletier (Willy) (dir.), Que faire des partis politiques ?, Éditions du Croquant, 2018.

Frédéric Sawicki

Politiste, professeur de science politique à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP-CNRS)

Notes

[1] Boelaert (Julien), Michon (Sébastien), Ollion (Étienne), « Le temps des élites. Ouverture politique et fermeture sociale à l’Assemblée nationale en 2017 », Revue française de science politique, 68 (5), 2018.

[2] Mauro Calise, Il partito personale, Roma-Bari, Laterza, 2000 et Duncan McDonnell, « Silvio Berlusconi’s personal parties : from Forza Italia to the Popolo della Libertà », Political Studies, 61 (1), 2013.

[3] Je discute cette thèse dans mon article « Les partis sont-ils voués à disparaître ? », in Gaxie (Daniel), Pelletier (Willy) (dir.), Que faire des partis politiques ?, Éditions du Croquant, 2018.