Politique

Du bon usage de la consultation nationale

Philosophe et sociologue

Et si derrière la « crise » des gilets jaunes se cachait l’opportunité d’un renouveau politique ? À la veille de l’ouverture du grand débat, Bruno Latour esquisse la possibilité d’une large réflexion sur la mise en œuvre d’une conversion générale du mode de fonctionnement du pays, conciliant enfin défis écologiques et enjeux économiques.

La situation créée par les « gilets jaunes » est une occasion rêvée pour rebondir politiquement : c’est en effet la première fois qu’il devient clair pour tout le monde qu’il existe un lien direct entre transition écologique et justice sociale. Inutile de continuer à opposer économie et écologie : il faut les conjoindre, tout en reconnaissant que c’est ouvrir la boîte de Pandore.

Bien que la désorientation semble générale, le public sent bien le décalage entre les buts que la civilisation s’est donnée jusqu’ici et le lieu matériel où cette même civilisation doit apprendre à résider si elle veut durer. Il suffit pour cela de lire les annonces des scientifiques, tous les jours, dans les journaux. La déconnexion entre ces annonces d’une menace imminente et l’incapacité d’agir à temps et à la bonne échelle pour en prévenir les effets, est la cause profonde de tous les mécontentements actuels. Il ne s’agit pas seulement d’une opposition aux taxes sur l’essence mais d’une crise existentielle sur la direction donnée à la civilisation. (On reconnaît là le parallèle avec la parole fameuse : « C’est une révolte ? – Non sire, c’est une révolution », mais à une tout autre échelle).

La civilisation qui s’aperçoit qu’il n’y a plus de terre correspondant à son projet, littéralement, atterrit enfin et s’organise en conséquence.

Comment s’étonner de la souffrance de ceux à qui on ne dit pas – mais ils le sentent parfaitement – que la déconnexion entre le projet de la civilisation et l’état de la planète exige une transformation profonde de leurs modes de vie ? Que le partage des sacrifices va évidemment reposer à nouveau toutes les questions de justice sociale ? Mais qu’il y a là, ce qu’on ne dit jamais sous une forme positive, une formidable occasion, pour tout un peuple, de réinventer ces conditions d’existence ?

Il ne s’agit ni de progresser à l’ancienne, c’est-à-dire à l’aveugle, vers un état de la planète impossible à soutenir, ni de régresser, mais de changer de cap pour fai


Bruno Latour

Philosophe et sociologue, Professeur émérite au médialab de Sciences Po