Politique

La métamorphose de l’ordre politique : de la société civile aux pratiques politiques autonomes

Sociologue

Si le recul de la participation au suffrage universel et le déclin des adhésions aux organisations représentatives semblaient traduire le désengagement des citoyens de la vie politique, la multiplication des initiatives citoyennes indique bien davantage sa mutation. Pour restituer la pluralité de ces initiatives, leur nature et leur visée, la notion de « pratiques politiques autonomes » semble être la plus appropriée. Mais, libérées des règles du jeu instituées par les régimes de gouvernement représentatif, de quelle légitimité peuvent-elle se revendiquer ?

Insurrection civile en Algérie ; grèves lycéennes pour le changement climatique en Europe ; énième acte des Gilets Jaunes en France ; élections de Zuzana Caputova à la Présidence de la Slovaquie et de Volodymir Zelenski à celle de l’Ukraine ; manifestations contre la corruption en Roumanie et Bulgarie ; révolte populaire et destitution d’Omar-el-Béchir au Soudan ; blocage du centre de Londres et occupations des tours de la Défense à Paris par les activistes de l’environnement.

Les semaines passent et confortent l’idée qu’un changement d’attitude s’enracine : les citoyen.ne.s se gênent de moins en moins pour faire irruption dans la vie politique d’un pays afin d’imposer, à leur propre initiative, une orientation nouvelle à la manière dont les affaires publiques y sont prises en charge par leur gouvernement et les partis qui le soutiennent.

Autrement dit, la « souveraineté du peuple » ne se construit plus uniquement dans les urnes. Elle prend consistance désormais lorsque des foules prennent la rue pour s’opposer à des pouvoirs discrédités (en parvenant parfois à les chasser de façon pacifique) ; lorsque des ONG, des collectifs ou des associations obligent des gouvernements à négocier, les assignent en justice ou les font revenir sur des mesures inacceptables ; lorsque le recours à la désobéissance civile, à l’action directe non-violente ou à des occupations aide à satisfaire une revendication ; lorsque des « mouvements » se situant hors du système des partis gagnent des sièges dans un Parlement ou décident de former un exécutif ; ou lorsque des novices en politique sont portés à la tête d’un État contre les candidats de l’establishment.

En dépit de ses indiscutables succès, cet activisme « sauvage » continue à être envisagé comme dénué de toute valeur politique au motif qu’il se situe aux marges du cadre convenu des institutions de la représentation. Et lorsqu’elle est qualifiée de « populiste » ou d’ « anti-système », cette façon d’agir en politique est décrite com


Albert Ogien

Sociologue, Directeur de recherche au CNRS – CEMS