Europe, l’indécision est une force
Dans son article sur « L’Europe, continent philosophique » (AOC du 22 mai 2019), Roberto Esposito adopte un mouvement paradoxal qui consiste à reparcourir certains moments de crises passées de l’Europe et à y définir explicitement le rôle qu’y a joué la philosophie, puis à définir la crise présente et à y pratiquer, mais implicitement, la philosophie nouvelle que celle-ci lui semble, comme à nous, appeler. Notre but sera donc d’expliciter cette philosophie implicite de la dernière partie du texte et de commencer à la discuter puisqu’il y va, avec cette philosophie, du sens de l’Europe actuelle et même de son existence (ce sens qui, cette fois, précède pour ainsi dire son existence, en est la condition !).

La thèse que Roberto Esposito défend sur les moments où la philosophie est venue pour ainsi dire à la rescousse de l’Europe, et du lien si fort qu’il met donc entre « Europe et philosophie », il la met en pratique sans le dire pour le moment présent, et c’est cohérent puisqu’il y a urgence. Mais il faut aussi le faire de manière explicite, partagée et discutée, pour en appeler au-delà de la pratique des uns et des autres à une rencontre réelle entre les philosophes et plus largement les « intellectuels » européens et bien au-delà, l’ « Europe » renvoyant en fait au problème mondial et la « philosophie » à tous ceux qui tentent de l’affronter et de le penser.
Mais quelle est donc d’abord la thèse explicite de Roberto Esposito sur le rôle qu’a joué la philosophie dans les crises précédentes de « l’Europe » ? Ce qu’il y a ici de capital à nos yeux c’est que le recours le plus profond et même le seul légitime à la philosophie n’a jamais été selon lui de trancher dans l’indécision constitutive de « l’Europe », mais au contraire de l’assumer radicalement.
Le réel apport de la « philosophie », aux moments les plus cruciaux, a consisté à assumer et même à revendiquer cette indécision radicale de l’Europe.
De fait, il y a une indécision radicale de l’Europe dans son « sens