Rediffusion

Pourquoi avons-nous si peur des fake news ?

Sociologue

Les Fake News seraient à elles seules responsables de la montée des populismes, de la crise des médias, ou de la diffusion de croyances irrationnelles. Ce déterminisme technologique, s’appuie sur une assez large méconnaissance des résultats des enquêtes sociologiques comme celle parue aux Etats-Unis fin 2018, Network Propaganda de Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Robert, que Dominique Cardon se propose ici d’analyser dans le premier volet de cet article. Rediffusion du 20 juin 2019.

Internet et les réseaux sociaux ont tout déréglé. Robots, agents russes, algorithmes, groupuscules de l’ultra-droite et toutes sortes d’officines à visée idéologique ou commerciale ont profité de l’infrastructure ouverte du réseau pour propager des infox. Un véritable bombardement de messages douteux, de photos truquées ou antidatées, de rumeurs scabreuses, d’informations décontextualisées ou honteusement fausses, d’insinuations conspirationnistes et de messages sculptés pour désorienter les convictions de profils ciblés s’est abattu sur le web.

Un grand processus de dérégulation du marché informationnel a été ouvert par le numérique. Il serait responsable du Brexit, des élections de Donald Trump et de Jair Bolsonaro ou de la radicalité des Gilets Jaunes. Les gens ont mal voté parce qu’ils ont été manipulés par des acteurs mal intentionnés qui ont su exploiter les aspects les plus toxiques de l’infrastructure du réseau. La question fait si peu de doute qu’un déterminisme technologique un peu trivial sert désormais de clé d’explication à la montée des populismes, à la crise des médias et à la diffusion de croyances irrationnelles. Internet est le problème et si l’on pouvait nettoyer le web des infox, nous en aurions fini avec les mauvais votes, la méfiance et la crédulité.

Cette panique autour des fake news souligne un enjeu important qui mérite toute notre attention, mais il n’est pas sûr que le diagnostic soit très bien établi. Dans ce tintamarre de propos assurés souvent fondés sur des raccourcis et des anecdotes personnelles (« alors ma cousine a été maraboutée sur Twitter… »), il est frappant de constater à quel point les chercheurs travaillant sur ces questions ne sont guère entendus. Il est vrai que les études numériques sont parfois difficiles à comprendre et que leurs méthodologies doivent être soigneusement inspectées. Il arrive d’ailleurs que des recherches en computational social science viennent apporter de l’eau au moulin de la panique en produisant d


[1]. Les conclusions des chercheurs sont identiques pour l’Europe, voir : Fletcher (Richard), Alessio Cornia (Alessio), Graves (Lucas), Kleis Nielsen (Rasmus), “Measuring the reach of “fake news” and online disinformation in Europe”, Reuters Institute-Oxford University, february 2018.

[2]. Ambivalentes dès qu’on les observe de près, les technologies numériques fabriquent à la fois de la dispersion et de la centralisation. Alors que, pour les réseaux sociaux, on s’inquiète beaucoup du détournement de l’attention des publics numériques vers des sources de mauvaise qualité, pour la recherche d’information sur Google les enquêtes montrent que le géant américain a tendance à favoriser les médias les plus centraux et les plus établis pour les placer au sommet de son classement : Trielli (Daniel), Diakopoulos (Nicholas), “Search as News Curator. The role of Google in Shaping Attention to News Information, CHI, Glasgow, May 4-9 2019.

Cet article, en deux parties, a été publié pour la première fois le 20 juin 2019 sur AOC.

Dominique Cardon

Sociologue, Directeur du Médialab de Sciences Po

Notes

[1]. Les conclusions des chercheurs sont identiques pour l’Europe, voir : Fletcher (Richard), Alessio Cornia (Alessio), Graves (Lucas), Kleis Nielsen (Rasmus), “Measuring the reach of “fake news” and online disinformation in Europe”, Reuters Institute-Oxford University, february 2018.

[2]. Ambivalentes dès qu’on les observe de près, les technologies numériques fabriquent à la fois de la dispersion et de la centralisation. Alors que, pour les réseaux sociaux, on s’inquiète beaucoup du détournement de l’attention des publics numériques vers des sources de mauvaise qualité, pour la recherche d’information sur Google les enquêtes montrent que le géant américain a tendance à favoriser les médias les plus centraux et les plus établis pour les placer au sommet de son classement : Trielli (Daniel), Diakopoulos (Nicholas), “Search as News Curator. The role of Google in Shaping Attention to News Information, CHI, Glasgow, May 4-9 2019.

Cet article, en deux parties, a été publié pour la première fois le 20 juin 2019 sur AOC.