Le goût de la politique
De toute évidence, les questions d’alimentation, à plus forte raison quand elles touchent l’agroalimentaire, recouvrent une dimension politique et critique. C’est pourquoi, au départ, le dessein de mon dernier livre résidait dans le refus de se voir condamné à ne parler aujourd’hui du sens du goût qu’en vue de glorifier les performances de la grande cuisine et célébrer l’hédonisme gastronomique.
Au-delà d’une dénonciation des injustices à l’encontre des animaux, des atteintes à la santé ou au milieu, le goût se laisse saisir à partir d’un caractère politique plus fondamental. Dimension occultée, d’une part, par le halo consumériste d’une cuisine érigée en loisir, et, de l’autre, par une industrialisation se prévalant de nourrir sous peu 9 milliards d’hommes, subodorant ainsi que l’innovation industrielle relèvera ce « défi » par le truchement des biotechnologies et l’agrochimie. Mais de quelle autre potentialité politique le goût est-il fondamentalement la matrice ?
Décrire les prédispositions politiques que les différents sens recèlent, c’est prendre acte du privilège qui a été reconnu, avec et au-delà la pensée philosophique, à la vue et l’ouïe. Parce que les lois s’écrivent, s’affichent, et que la voix corrobore la délibération publique, la force des sens « objectifs » réside dans leur puissance proprement médiatique : la parole s’articule avec un espace commun, social et politique, ouvert à la communication.
Mais ces sens dominants ne disent pas tout, loin de là, des motivations à l’œuvre dans la délibération et dont une large part repose sur des caractères relatifs au goût. L’intérêt majeur de ce sens, notait Rousseau dans l’Émile, est d’ignorer tout état d’indifférence, les saveurs sont insignes, marquées, polarisées, parce que ce sont les sentiments, les affects, qui commandent les goûts et les dégoûts. Ainsi les préférences viennent s’opposer à la neutralité, voire à une certaine indifférence de la vue et caractéristique de la théorie, laissant à