Partager l’intime
L’intime n’existe, semble-t-il, que dans l’horizon de sa perte. Les diagnostics ne manquent pas, ni les prophéties, qui annoncent sa disparition à plus ou moins brève échéance. On discute pour savoir si l’intime est mis en danger du fait de sa valorisation elle-même, par exemple au travers des mises en scène de soi et de ses sentiments auxquelles sont invités les individus. Ou, au contraire, s’il n’est pas victime de sociétés de la transparence qui n’accordent plus aucune place au secret. On se demande si l’intime ploie sous le narcissisme de l’individu contemporain ou s’il ne succomberait pas plutôt devant l’effacement de l’individualité au profit d’un monde impersonnel fait de réseaux. Les prétendants au titre de prédateurs de l’intime ne manquent pas non plus : nouvelles technologies, exhibitionnisme libéral, marchandisation de toutes les sphères de l’existence, désir d’être reconnu, triomphe de l’image, etc.

Les diagnostics sur la disparition de l’intime pèchent presque toujours par leur excès de généralité. Mais il vaut la peine d’être attentifs à ce qui les fonde, et qui reste vrai quel que soit leur degré d’exactitude sociologique : l’intime est indissociable d’une fragilité qui le met en péril. La possibilité d’entretenir des relations, de fonder des liens ou de forger des expériences à l’abri du jugement social n’est jamais acquise, elle résulte plutôt d’une conquête qui rencontre des obstacles. Avant de déterminer quels sont ces obstacles, et pour pouvoir le faire, il faut essayer de comprendre d’où vient cette fragilité essentielle.
À première vue, la chose semble facile à expliquer : l’intime est fragile du seul fait qu’il réclame de demeurer caché. Sa simple monstration équivaudrait à sa négation puisqu’il est dans la nature de l’intime de se soustraire aux regards. Dans une telle perspective, l’intime ne pourrait être préservé qu’en demeurant voilé, tu, imperceptible. On conçoit aisément, alors, ce qui le rend fragile dans des sociétés comme les nôtr