Politique

L’anthropologie politique dans une société en tension

Anthropologue

Dans un contexte politique et social traversé de tensions et d’incertitudes, la pression médiatique sur les sciences sociales s’est considérablement accrue. Dès lors, quelle doit être la place de ces dernières ? L’anthropologie politique, en particulier, apparaît essentielle pour saisir la résurgence des conflits sociaux dans toute sa complexité, sans tomber dans l’écueil d’un cadrage hâtif des évènements.

Comment pratiquer l’anthropologie politique aujourd’hui ? Plus généralement, quelle peut être la place des sciences sociales dans une conjoncture faite de tensions et d’incertitudes ? Ces questions ne sont pas nouvelles, mais elles ont pris un certain relief avec le retour des grands conflits sociaux sur le devant de la scène.

A l’automne 2018, j’écrivais un texte reprenant certains aspects de mon expérience d’anthropologue qui trouvait son origine dans un autre grand mouvement social, celui de Mai 68 auquel j’avais activement participé. Presque au même moment, les Gilets jaunes firent irruption dans le paysage politique. Cette circonstance m’a incité à approfondir la réflexion que je menais depuis de longues années sur la question de la prise de parole en politique et des lieux où elle se concrétise.

Le caractère soudain et inattendu de la mobilisation a surpris non seulement les politiques et les syndicalistes, mais aussi les commentateurs spécialisés et plus généralement les intellectuels, notamment dans le secteur des sciences sociales. Pour autant, il ne fallut pas longtemps pour que soient publiés nombre de textes qui mettaient en relief l’originalité de ce mouvement et les questions qu’il suscitait : des gens qui avaient endossé un gilet jaune pour se rendre visibles et qui s’en prenaient à l’injustice fiscale, qui ne se reconnaissaient pas dans le jeu des partis et des syndicats, un mouvement issu des périphéries rurales et rurbaines.

Très vite cependant dans les médias comme dans les réseaux sociaux, il a fallu mettre des noms, procéder à l’étiquetage de ces invisibles, les caser quelque part, décréter quelle controverse pertinente ils devaient susciter. Vu le caractère aussi inattendu que massif de la protestation, n’était-ce pas un moyen imparable de garder le contrôle ? D’où une polarisation pour les uns, sur la question de la violence, une controverse sur le poujadisme supposé du mouvement et son tropisme supposé d’extrême-droite, sur son opposition à


[1] La guerre civile en France, Paris, Editions Sociales, 1968, p. 210.

Marc Abélès

Anthropologue, Directeur d'études à l'EHESS, directeur de recherche au CNRS

Notes

[1] La guerre civile en France, Paris, Editions Sociales, 1968, p. 210.