Anthropocène et sciences sociales – de l’urgence climatique à l’urgence théorique
L’appel de 1000 scientifiques « face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire » va dans le sens de la conscience d’un décalage de moins en moins acceptables entre ce que nous savons – notamment grâce à la science – et ce que nous faisons. Si l’appel par des scientifiques à l’action politique et aux alternatives est nécessaire au vu de l’urgence, il n’en demeure pas moins que l’appel aux sciences sociales elles-mêmes reste fondamental. Pour une raison simple : si les sciences de l’environnement peuvent dire ce qui se passe et ce qui risque de se passer, encore faut-il comprendre les « bonnes raisons », les intérêts, les contraintes et les représentations qui rendent si partielles les changements. C’est la bascule vers des « sciences sociales de l’anthropocène » qui pourrait permettre de relever ce défi collectif.

La plupart des discussions en sciences sociales concernant la notion d’anthropocène portent moins sur la réalité des changements observés que sur la pertinence de l’appellation : les analyses critiques du capitalisme lui préfèrent la notion de « capitalocène » pour insister sur les responsabilités non pas de « l’humanité » mais d’un certain type de rationalité économique issue des puissances occidentales, tandis que les analyses postcoloniales et décoloniales préfèrent la notion de « plantatiocène » pour insister sur le système des plantations et les racines historiques encore plus anciennes d’un rapport colonial occidental prédateur à l’encontre de l’environnement et de l’humanité.
Ces deux approches ne sont ni contradictoires ni fausses mais en rabattant la discussion concernant l’anthropocène sur la question des origines historiques ou des facteurs principaux, elles manquent l’enjeu central de cette « ère de la responsabilité humaine sur les conditions d’existence » qui en est son enjeu épistémique : comment, pour des sciences sociales historiquement issues d’un raisonnement anthropocentrique, occidentalocentrique et statocentrique, intégrer d