Société

Panique virale : comment ne pas rater la catastrophe ?

Professeur de littérature et médias

Au moment où la crise sanitaire sature les salles de soins intensifs, comment comprendre la panique virale qui s’est emparée de nous ? La notion de « capitalisme génétique », proposée hier dans AOC par Thierry Bardini, aide à repérer les effets de la viralité médiatique qui exacerbe les effets sociaux du coronavirus. C’est en mesurant la plasticité inédite de ce capitalisme viral qu’on parviendra peut-être à tirer parti de la catastrophe, pour éviter un « retour à la normale » de l’extractivisme écocidaire.

Mieux vaut parler de la « catastrophe » que de la « crise » du coronavirus. Parler de crise implique que ça va passer, que l’immense majorité d’entre nous s’en remettra, et qu’il faut travailler pour qu’un retour à la normale se fasse au plus vite. Parler de catastrophe signifie, étymologiquement, que nous vivons un effondrement qui va « retourner » durablement nos existences, les mettre sens dessus dessous. Nous avons besoin d’une telle catastrophe pour renverser les trajectoires qui nous enfoncent déjà à tombeau ouvert dans des situations infiniment plus terribles encore qu’un (très) mauvais épisode grippal, aussi dramatique et douloureux que soit ce dernier pour les familles affectées.

Trois horizons des catastrophes en cours

On peut distinguer trois temporalités et trois enjeux majeurs dans la catastrophe en cours. D’abord un horizon sanitaire de court terme : il s’agit ici, à l’échelle des jours qui viennent, de multiplier les lits d’hôpitaux pouvant soigner en urgence les déficiences respiratoires causées par le Covid-19. La majorité des préoccupations reflétées par les journaux télévisés, radios majoritaires et autres chaînes d’information en continu sont obnubilées par cette urgence. Il en va de nos vies, de celles de nos proches et, bien entendu, tout le possible doit être fait pour les sauver dans l’immédiat.

Cette urgence sanitaire est toutefois l’occasion d’une remise en cause relevant d’un deuxième horizon, plus large, celui du néolibéralisme, dont nous sommes nombreux à souhaiter que le conoravirus sanctionne l’effondrement terminal. L’épidémie, et le soutien populaire qu’elle génère pour les soignant·es héroïsé·es, applaudi·es chaque soir à 20 heures, semblent arriver à pic pour dénoncer les politiques d’austérité menées depuis 30 ans contre les services publics, sous-financés, pressurisés, bureaucratisés, privatisés. C’est « le prix du bon marché » (imposé par l’idéologie compétiviste) que nous payons aujourd’hui faute d’avoir investi dans la précau


[1] Voir respectivement Jason Moore, Capitalism in the Web of Life, New York, Verso, 2016 ; Jairus Victor Grove, Savage Ecology. War and Geopolitics at the End of the World, Durham, Duke University Press, 2019 ; Anna Tsing, Le champignon de la fin du monde, Paris, La Découverte, 2018.

[2] Voir son article « Le capitalisme génétique », à paraître prochainement dans AOC, ainsi que son entretien radiophonique du 22 mars 2020 dans la série Antivirus sur http://www.rybn.org/radioinformal/antivirus/.

[3] Voir Rob Wallace, « Agribusiness would risk millions of deaths », Marx 21, 11 mars 2020, https://www.marx21.de/coronavirus-agribusiness-would-risk-millions-of-deaths/ et Anna Tsing, « Résurgence holocénique contre plantationj anthropocénique », Multitudes, 72, p. 77-87.

[4] Rappelons par exemple que, selon l’OMS, 827 000 meurent chaque année dans le monde faute d’accès à des systèmes basiques d’assainissement des eaux (WHO, « Sanitation. Key Facts », 2019, https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/sanitation).

[5] Baptiste Morizot, Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, Marseille, Wildproject, 2016, p. 262 sqq. et Manières d’être vivant, Arles, Actes Sud, 2020, p. 279-287.

[6] Voir https://www.positivemoney.eu/.

Yves Citton

Professeur de littérature et médias, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Co-directeur de la revue Multitudes

Rayonnages

Société

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Voir respectivement Jason Moore, Capitalism in the Web of Life, New York, Verso, 2016 ; Jairus Victor Grove, Savage Ecology. War and Geopolitics at the End of the World, Durham, Duke University Press, 2019 ; Anna Tsing, Le champignon de la fin du monde, Paris, La Découverte, 2018.

[2] Voir son article « Le capitalisme génétique », à paraître prochainement dans AOC, ainsi que son entretien radiophonique du 22 mars 2020 dans la série Antivirus sur http://www.rybn.org/radioinformal/antivirus/.

[3] Voir Rob Wallace, « Agribusiness would risk millions of deaths », Marx 21, 11 mars 2020, https://www.marx21.de/coronavirus-agribusiness-would-risk-millions-of-deaths/ et Anna Tsing, « Résurgence holocénique contre plantationj anthropocénique », Multitudes, 72, p. 77-87.

[4] Rappelons par exemple que, selon l’OMS, 827 000 meurent chaque année dans le monde faute d’accès à des systèmes basiques d’assainissement des eaux (WHO, « Sanitation. Key Facts », 2019, https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/sanitation).

[5] Baptiste Morizot, Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, Marseille, Wildproject, 2016, p. 262 sqq. et Manières d’être vivant, Arles, Actes Sud, 2020, p. 279-287.

[6] Voir https://www.positivemoney.eu/.