International

La santé à deux vitesses : les Africains-Américains à l’heure de la pandémie mondiale

Historienne

Parmi les plus de 45 000 morts aux États-Unis se trouve une proportion inquiétante d’Africains-Américains. Si certains incriminent leur mode de vie, il faut plutôt regarder du côté des inégalités sociales et raciales qui structurent le pays et forment un racisme institutionnel. Les inégalités qui criblent le système de santé américain creusent l’écart entre les populations dans la prise en charge et les traitements pour les personnes touchées par le Covid-19.

Depuis une quinzaine de jours, de nombreux articles publiés dans la presse écrite ont mentionné la sur-représentation des Africains-Américains parmi les patients touchés par une forme grave de Covid-19 aux États-Unis. À Chicago, les Africains-Américains représentent 70 % des décès liés à la pandémie actuelle, alors que ce groupe ne représente que 32 % de la population de la ville. À Milwaukee, dans l’État voisin du Wisconsin, les statistiques de morbidité du Covid-19 sont semblables, tandis que les Africains-Américains ne représentent que 26 % de la population totale.

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Certains journalistes et commentateurs politiques ont pu blâmer la « culture » et les modes de vie associés aux Africains-Américains pour expliquer la forte diffusion du virus dans cette communauté. Les congrégations protestantes, institutions piliers des grands quartiers noirs aux États-Unis, ne respecteraient pas les normes de distanciation sociale, ce qui favoriserait l’essor des cas symptomatiques[1]. Les grands rassemblements et parades du Mardi Gras à la Nouvelle-Orléans en février dernier auxquelles les habitants de Tremé avaient participé en masse auraient aussi favorisé la diffusion de la maladie dans les clusters africains-américains.

Si ces analyses tentent d’apporter des pistes de réflexion à propos de situations localisées, ces explications culturalistes ne sauraient être les seuls facteurs dont il faudrait tenir compte. Elles ont par ailleurs tendance à obscurcir les réelles causes qui expliquent la répartition inégale des cas graves sur le territoire : les inégalités sociales et raciales structurelles, historiques qui affectent les Africains-Américains dans le domaine de la santé depuis des décennies. Les sociologues de la santé américains ont depuis longue date montré que les inégalités sociales en matière d’accès à la santé sont aussi et avant tout des inégalités raciales.

Aux États-Unis, les Latinos et Africains-Américains sont les groupes de population les moins fréquemme


[1]  Sur le rôle des églises dans ces quartiers, voir Omar McRoberts, Streets of Glory: Church and Community in a Black Urban Neighborhood, Chicago, University of Chicago Press, 2003

[2] Sur les banlieues pavillonnaires, voir Kevin M. Kruse et Thomas J. Sugrue (dir.), The New Suburban History, University of Chicago Press, 2006

[3]  Voir par exemple Alison Hope Alkon et Julian Agyeman (dir.), Cultivating Food Justice Race, Class, and Sustainability, MIT Press, 2011
ou Luke W. Cole et Sheila R. Foster (dir.), From the Ground Up: Environmental Racism and the Rise of the Environmental Justice Movement, NYU Press, 2001

[4] Loïc Wacquant, « Symbiose Fatale. Quand ghetto et prison se ressemblent et s’assemblent », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 139, 2001, p.31-52

[5] Voir à ce sujet Romain Huret, Katrina, 2005. L’ouragan, l’État et les pauvres aux États-Unis, EHESS, coll. « Cas de figure », 2010

[6] Voir par exemple Thomas A. LaVeist, Kim J. Nickerson, et Janice V. Bowie, « Attitudes about Racism, Medical Mistrust, and Satisfaction with Care among African American and White Cardiac Patients », Medical Care Research and Review, vol. 57, n°1, 2000, p.146-161

[7] Harriet A. Washington, Medical Apartheid: The Dark History of Medical Experimentation on Black Americans from Colonial Times to the Present, Anchor, 2008.

[8] Deirdre Cooper Owens, Medical Bondage: Race, Gender, and The Origins of American Gynecology, University of Georgia Press, 2017
et Daina Ramey Berry, The Price for Their Pound of Flesh: The Value of the Enslaved From Womb to Grave, in the Building of a Nation, Beacon Press, 2016

Élodie Grossi

Historienne, Maîtresse de conférences en études américaines à l’Université Toulouse Jean Jaurès

Notes

[1]  Sur le rôle des églises dans ces quartiers, voir Omar McRoberts, Streets of Glory: Church and Community in a Black Urban Neighborhood, Chicago, University of Chicago Press, 2003

[2] Sur les banlieues pavillonnaires, voir Kevin M. Kruse et Thomas J. Sugrue (dir.), The New Suburban History, University of Chicago Press, 2006

[3]  Voir par exemple Alison Hope Alkon et Julian Agyeman (dir.), Cultivating Food Justice Race, Class, and Sustainability, MIT Press, 2011
ou Luke W. Cole et Sheila R. Foster (dir.), From the Ground Up: Environmental Racism and the Rise of the Environmental Justice Movement, NYU Press, 2001

[4] Loïc Wacquant, « Symbiose Fatale. Quand ghetto et prison se ressemblent et s’assemblent », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 139, 2001, p.31-52

[5] Voir à ce sujet Romain Huret, Katrina, 2005. L’ouragan, l’État et les pauvres aux États-Unis, EHESS, coll. « Cas de figure », 2010

[6] Voir par exemple Thomas A. LaVeist, Kim J. Nickerson, et Janice V. Bowie, « Attitudes about Racism, Medical Mistrust, and Satisfaction with Care among African American and White Cardiac Patients », Medical Care Research and Review, vol. 57, n°1, 2000, p.146-161

[7] Harriet A. Washington, Medical Apartheid: The Dark History of Medical Experimentation on Black Americans from Colonial Times to the Present, Anchor, 2008.

[8] Deirdre Cooper Owens, Medical Bondage: Race, Gender, and The Origins of American Gynecology, University of Georgia Press, 2017
et Daina Ramey Berry, The Price for Their Pound of Flesh: The Value of the Enslaved From Womb to Grave, in the Building of a Nation, Beacon Press, 2016