Société

Au bal masqué ? Comment la distanciation sociale réaffirme la nécessité de la fête 

Anthropologue

Qu’en sera-t-il des fêtes dans le « monde d’après » ? Elles seront le signe qu’un semblant de vie sociale reprend son rythme. Mais tout le monde ne sera pas à la fête et, aujourd’hui comme hier, elle constituera un marqueur social comme un autre. Les uns trouveront toujours le moyen de braconner dans le champ des nouvelles règles, et profiteront sans doute des efforts faits par les autres pour mieux s’affranchir des contraintes et assouvir ainsi leur désir de fête.

Fêter la fin du confinement fait partie du confinement même. Quelques notes de musique, quelques verres pour trinquer, quelques caméras pour immortaliser l’instant…  À la première heure de cette première phase de déconfinement en France, un petit groupe de personnes s’est rassemblé sur les Champs-Élysées pour fêter la sortie sans attestation dérogatoire.

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Rien de très effervescent, mais l’image de ces quelques citadins qui se retrouvent dans un espace public symbole des grands rassemblements festifs parisiens marque le moment vécu. Comme les apéros Skype qui resteront comme les symboles de cette quarantaine. Car la distanciation physique a révélé, en creux, tout ce qui fait de la sociabilité festive une des formes essentielles de nos vies d’êtres sociaux. À l’heure des gestes barrières, la fête se révèle d’autant plus précieuse qu’elle est rendue quasi impossible.

Or la fête, comme phénomène anthropologique, renvoie à la nécessité universelle du rassemblement festif et pacifique que connaissent toutes les sociétés humaines. Si les anthropologues l’ont défini comme catégorie universelle de l’excès, de la rupture temporelle et de l’inversion de l’ordre, ils y ont vu aussi ce « fait social total », dans lequel ils pouvaient y lire les dimensions sociales, religieuses et économiques des communautés étudiées. Nos sociétés contemporaines n’échappent pas à la pulsion festive, voire en font un levier de développement aussi bien économique que culturel, si bien que récemment nous avons pu nous interroger davantage sur le « phénomène festif » que sur la fête « en soi ».

Un numéro de la revue Socio-Anthropologie paru en 2018 envisageait la fête dans son « éclatement », ses recompositions et reconfigurations, et se demandait ainsi : « Où est la fête s’il n’en demeure finalement que des fragments ? »[1] Si certaines fêtes dites traditionnelles connaissent des résurgences, comme par exemple les fêtes de village, d’autres types de fête s’inscrivent d’emblée dans la moder


[1] Emmanuelle Lallement (dir.), « Éclats de fête », Socio-anthropologie, n°38, 2018

[2] Emmanuelle Lallement, « Événements en ville, événements de ville : vers de nouvelles ritualités urbaines ? », Communication & Organisation, 2007/2 (n° 32), p. 2-2. URL : https://www.cairn.info/revue-communication-et-organisation-2007-2-page-2.htm

[3] https://aoc.media/opinion/2020/03/31/viens-loin-de-moi-de-la-proxemie-en-temps-de-pandemie/

[4] Sophie Poirot-Delpech (dir.), « Des collectifs éphémères », Socio-anthropologie, n° 33, 2016.

[5] Yves Winkin, Propositions pour une anthropologie de l’enchantement. In P. Rasse, N. Midol et F. Triki (dir.), Unité-Diversité. Les identités culturelles dans le jeu de la mondialisation, Paris, L’Harmattan, 2001.

[6] John Waller, Les danseurs fous de Strasbourg. Une épidémie de transe collective en 1518, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2016, 219 p.

Emmanuelle Lallement

Anthropologue, Professeure à l'Université Paris 8

Rayonnages

Société

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Emmanuelle Lallement (dir.), « Éclats de fête », Socio-anthropologie, n°38, 2018

[2] Emmanuelle Lallement, « Événements en ville, événements de ville : vers de nouvelles ritualités urbaines ? », Communication & Organisation, 2007/2 (n° 32), p. 2-2. URL : https://www.cairn.info/revue-communication-et-organisation-2007-2-page-2.htm

[3] https://aoc.media/opinion/2020/03/31/viens-loin-de-moi-de-la-proxemie-en-temps-de-pandemie/

[4] Sophie Poirot-Delpech (dir.), « Des collectifs éphémères », Socio-anthropologie, n° 33, 2016.

[5] Yves Winkin, Propositions pour une anthropologie de l’enchantement. In P. Rasse, N. Midol et F. Triki (dir.), Unité-Diversité. Les identités culturelles dans le jeu de la mondialisation, Paris, L’Harmattan, 2001.

[6] John Waller, Les danseurs fous de Strasbourg. Une épidémie de transe collective en 1518, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2016, 219 p.