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Nuremberg, La Haye, Minneapolis – sur l’état précaire de la justice internationale comme dispositif

Historien

En mars 2020, l’administration Trump s’est battue contre l’ouverture d’une enquête sur les agissements américains en Afghanistan, par la Cour Pénale Internationale à La Haye. Des procureurs internationaux ont immédiatement dénoncé un recul préoccupant par rapport aux développements de la justice pénale depuis Nuremberg. Il faut nuancer : les États-Unis ont toujours manifesté de la défiance vis à vis de cette institution, comme l’illustrent les nouvelles lois contre le racisme, rédigées après le meurtre de George Floyd, et qui évitent soigneusement toute référence au droit international.

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Les tensions récentes entre la Cour pénale internationale (CPI) et les États-Unis comme, dans un autre registre, la délicate qualification en droit interne des crimes racistes commis dans ce pays révèlent la fragilité de la justice pénale internationale (JPI) envisagée comme « dispositif » – c’est à dire comme opérateur d’internationalisation des normes judicaires et des causes militantes. En ce sens, le « moment Nuremberg » éclaire plus qu’on ne l’imagine ce dispositif instable, sur lequel pèsent durablement les défauts d’universalisation qui ont présidé à son émergence. En atteste la définition, esquissée en 1945, des crimes racistes en droit international : particulièrement corsetée dans la Charte du Tribunal de Nuremberg, elle n’a guère été transposée en droit national, singulièrement aux États-Unis.

La Haye, mars 2020. La CPI et le précédent de Nuremberg

Le 5 mars 2020, la chambre d’appel de la CPI, sise à La Haye, autorise le Bureau du Procureur de cette juridiction instituée par le Traité de Rome (1998) à ouvrir une enquête sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis en Afghanistan par toutes les parties en présence depuis mai 2003. Outre les crimes à grande échelle contre des civils attribués aux Talibans, aux forces afghanes et à l’armée américaine, la requête vise aussi des actes de torture présumés, commis dans des centres de détention secrets de la CIA situés non seulement en Afghanistan mais aussi, depuis juillet 2002, en Pologne, en Lituanie et en Roumanie.[1]

Après avoir dénoncé la décision de la CPI comme illégitime et hostile aux intérêts américains, Donald Trump signe le 11 juin dernier un décret présidentiel (executive order) autorisant des mesures de rétorsion – gel des avoirs et refus de visa – contre les employés de la CPI impliqués dans l’enquête en cours. Ces restrictions sont, à titre d’exemple, comparables à celles qui s’appliquent aux dirigeants iraniens. Il n’est pas indifférent de noter, on y reviendra, qu’


[1] Ces quatre pays n’ayant ratifié le Traité de Rome qu’entre juillet 2002 et mai 2003, la CPI ne peut enquêter sur les crimes commis avant ces dates, notamment dans les mois qui ont suivi l’invasion de l’Afghanistan (octobre 2001).

[2] Nous entendons par là une constellation d’organisations et d’acteurs variés au carrefour du droit, du plaidoyer humanitaire et de la diplomatie. Cf. Mouralis, G. “Pourquoi les Etats-Unis…”, op. cit.

[3] Guillaume Mouralis, Le moment Nuremberg, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p.160-161.

[4] Suivant le projet de loi concernant les effets de l’esclavage, la commission examinera « si ses recommandations sont conformes aux normes internationales de réparation des torts et préjudices causés par l’État. » Projet « H.R.40 – Commission to Study and Develop Reparation Proposals for African-Americans Act », 1er mars 2019, section 3, 7b(A). www.congress.gov/

[5] Article 6(c) de la Charte du TMI annexée à l’accord de Londres, 8 août 1945.

[6] G. Mouralis, Le moment Nuremberg, op. cit. p. 163-173.

Guillaume Mouralis

Historien, Directeur de recherche au CNRS

Notes

[1] Ces quatre pays n’ayant ratifié le Traité de Rome qu’entre juillet 2002 et mai 2003, la CPI ne peut enquêter sur les crimes commis avant ces dates, notamment dans les mois qui ont suivi l’invasion de l’Afghanistan (octobre 2001).

[2] Nous entendons par là une constellation d’organisations et d’acteurs variés au carrefour du droit, du plaidoyer humanitaire et de la diplomatie. Cf. Mouralis, G. “Pourquoi les Etats-Unis…”, op. cit.

[3] Guillaume Mouralis, Le moment Nuremberg, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p.160-161.

[4] Suivant le projet de loi concernant les effets de l’esclavage, la commission examinera « si ses recommandations sont conformes aux normes internationales de réparation des torts et préjudices causés par l’État. » Projet « H.R.40 – Commission to Study and Develop Reparation Proposals for African-Americans Act », 1er mars 2019, section 3, 7b(A). www.congress.gov/

[5] Article 6(c) de la Charte du TMI annexée à l’accord de Londres, 8 août 1945.

[6] G. Mouralis, Le moment Nuremberg, op. cit. p. 163-173.