Politique

Ni retour, ni revanche : Ce que le Covid-19 nous dit de l’État

Juriste

Le caractère extraordinaire – et non exceptionnel – de la crise du coronavirus n’a fait que mettre en exergue une réalité bien moins spectaculaire le reste du temps : oui, l’État est bien là ; non, il n’y a pas de « retour » de sa part en ce qu’il supposerait un recul préalable, de gré ou de force, de celui-ci ; non, il n’y a pas de « revanche », en ce que ce terme impliquerait une volonté de répondre à un mal ou à une injure qui lui aurait été causé(e).

Comme souvent à l’occasion d’une crise dont l’ampleur est inédite, celle relative au Covid-19 a vu fleurir des positions selon lesquelles la situation serait propice au « retour de l’État » ou sonnerait l’heure de sa « revanche »[1]. À la lecture de ces notes, articles ou tribunes, l’on redécouvre pleinement le caractère plurivoque de l’État : tantôt concept, tantôt notion ; tantôt chose, tantôt personne (morale) ; tantôt idée, tantôt idéologie ; tantôt réifié, tantôt institution ; tantôt stratège, tantôt régulateur ; tantôt souverain, tantôt administratif ; tantôt (État-)gendarme, tantôt (État-)providence ; tantôt central ou fédéral, tantôt décentralisé ou fédéré… En fait, la multiplicité des sens que l’on donne à l’État est telle qu’il paraît aisé de dire (ou de faire observer) que la crise sanitaire en cours illustre son retour ou sa revanche.

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Défendre ces thèses et les prendre au sérieux, c’est acter un affaiblissement antérieur de l’État ou, à tout le moins, une relativisation de son rôle en période normale. Au contraire, le caractère extraordinaire – et non exceptionnel – de la crise du coronavirus ne fait que mettre en exergue une réalité bien moins spectaculaire le reste du temps : oui, l’État est bien là ; non, il n’y a pas de « retour » de sa part en ce qu’il supposerait un recul préalable, de gré ou de force, de celui-ci ; non, il n’y a pas de « revanche », en ce que ce terme impliquerait une volonté de répondre à un mal ou à une injure qui lui aurait été causé(e).

La thématique n’est pas nouvelle : lors de la crise des subprimes, l’interventionnisme étatique dans l’économie mondiale sonnait déjà pour certains comme le retour ou la revanche de l’État. De telles thèses mélangent sans doute l’organique et le fonctionnel. Certes, l’État est un « sujet agissant » nous rappelle le juriste Hans Kelsen, qui tel un caméléon voit certains de ses champs d’action ou quelques-unes de ses finalités révisé(e)s, contesté(e)s ou abandonné(e)s. En revanche, l’É


[1] A. Samrani, « Covid-19 : la revanche de l’État », L’Orient-le-jour, 16 mars 2020 ; B. Mathieu, « Avec le coronavirus, le retour de l’État-pompier », L’Expansion, 17 mars 2020 ; S. Knafo, « La crise du Coronavirus marque-t-elle le retour de l’État ? », Le Figaro, 23 mars 2020 ; G. Giraud, « Covid-19 : le retour de l’État-providence ? », Libération, 25 mars 2020 ; A. d’Abbundo et M. Dancer, « Face au coronavirus, le retour de l’État », La Croix, 26 mars 2020 ; Dossier « Crise sanitaire : le retour de l’État », Le 1, n° 290, 1er avril 2020 ; B. Tertrais, « L’année du Rat. Conséquences stratégiques de la crise du coronavirus », Note de la FRS, n° 15, 3 avril 2020, p. 4-5 ; Ph. Escande, « Économie de marché : la crise du coronavirus provoque le grand retour de l’État », Le Monde, 5 avril 2020 ; G. Macke, « Arnaud Montebourg : La crise du coronavirus doit sonner le retour de l’État stratège », Challenges, 12 avril 2020.

[2] E. Viveiros de Castro, Politique des multiplicités. Pierre Clastres face à l’État, Dehors, 2019, p. 56.

[3] O. Beaud, La puissance de l’État, PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 198.

[4] F. Poirat, « État », D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, coll. Quadrige Dicos Poche, 2003, p. 644.

Thibaud Mulier

Juriste, maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre, membre du Centre de Théorie et d’Analyse du Droit

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] A. Samrani, « Covid-19 : la revanche de l’État », L’Orient-le-jour, 16 mars 2020 ; B. Mathieu, « Avec le coronavirus, le retour de l’État-pompier », L’Expansion, 17 mars 2020 ; S. Knafo, « La crise du Coronavirus marque-t-elle le retour de l’État ? », Le Figaro, 23 mars 2020 ; G. Giraud, « Covid-19 : le retour de l’État-providence ? », Libération, 25 mars 2020 ; A. d’Abbundo et M. Dancer, « Face au coronavirus, le retour de l’État », La Croix, 26 mars 2020 ; Dossier « Crise sanitaire : le retour de l’État », Le 1, n° 290, 1er avril 2020 ; B. Tertrais, « L’année du Rat. Conséquences stratégiques de la crise du coronavirus », Note de la FRS, n° 15, 3 avril 2020, p. 4-5 ; Ph. Escande, « Économie de marché : la crise du coronavirus provoque le grand retour de l’État », Le Monde, 5 avril 2020 ; G. Macke, « Arnaud Montebourg : La crise du coronavirus doit sonner le retour de l’État stratège », Challenges, 12 avril 2020.

[2] E. Viveiros de Castro, Politique des multiplicités. Pierre Clastres face à l’État, Dehors, 2019, p. 56.

[3] O. Beaud, La puissance de l’État, PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 198.

[4] F. Poirat, « État », D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, coll. Quadrige Dicos Poche, 2003, p. 644.